Un diplôme en poche et une aventure qui redémarre !

Quelques années après m’être posé des questions existentielles sur la pertinence de l’école, me voilà diplômé d’un master en ingénierie d’affaires. Un mot bien savant pour simplement dire « technico-commercial ». Parfois, j’ai l’impression que l’on essaye de justifier des études supérieures, dont la durée me paraît discutable, par des mots compliqués. C’est la même chose dans le monde du travail avec l’emploi d’acronymes à tout va.

Me voilà donc à reprendre ce blog sur les conseils d’un ami à la barbe blanche. Il parait que c’est un signe de sagesse. Comme il le dit si bien en paraphrasant le prix Nobel de littérature 2022 : « si ce n’est pas écrit, cela ne reste que du vécu ! »

« Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu’à leur terme, elles ont été seulement vécues. » 

Annie Ernaux

Après avoir passé trois années plus ou moins sédentaires, j’avais un grand besoin de liberté. Une fois le diplôme en poche, j’ai décidé que je partirai vers l’Australie. Les deux jours d’auto-initiation au surf à Biarritz en compagnie de mon petit frère, ont lourdement pesé dans le choix de ma destination. Mais avant il me fallait un défi. En regardant le planisphère je me suis aperçu que l’Inde était plus ou moins sur le chemin de l’Australie. Voilà une escale de trouvée. Et si j’y allais en vélo pour le challenge ? 

Je n’ai jamais utilisé ce mode de transport pour voyager, voilà l’occasion rêvée ! D’après le GPS il y a environ 10 000 km, à raison de 100 km par jour, ce doit être faisable en trois mois. Lorsque j’annonce la nouvelle à ma famille, mes parents me font remarquer qu’il y a certains pays « tendus » sur le trajet : l’Iran et le Pakistan. Je me renseigne. Il est vrai que certaines zones de ces pays sont compliquées. Le projet reste faisable mais tout bien réfléchi je vais quand même les éviter. Il faut savoir reconnaître quand le jeu n’en vaut pas la chandelle. À la place j’irai jusqu’à l’Est du Kazakhstan dont la capitale Astana est la deuxième ville la plus froide au monde (jusqu’à -50C). Mais si je reste au sud du pays, les températures devraient rester raisonnables. Je préfère gérer le froid plutôt qu’un tir de kalachnikov ! 

Voilà ce qui est prévu mais comme toujours mes destinations ne sont que des prétextes pour vivre des aventures et rien n’est gravé dans le marbre pour accueillir les joies et les surprises que réserve le voyage. Pour moi, c’est comme le bricolage, cela ne se passe jamais comme prévu !


J’ai moins d’un mois pour me préparer et comme à l’habitude, il me reste mille choses à faire la veille du départ… Je me dis que de toute façon on ne peut jamais être prêt à 100% pour ce genre d’aventures, je me contente de prévoir le maximum et me concentre sur les choses les plus importantes.

Deux semaines avant la date choisie pour mon départ, je me rends sur Toulouse pour dénicher un vélo d’occasion. Pour être honnête, c’était surtout pour aller fêter l’anniversaire de ma cousine, mais faisons d’une pierre deux coups. Je vais de magasins en magasins et de déceptions en déceptions. La majorité des boutiques ne vendent que de beaux vélos neufs dont le prix de certains permettrait de s’acheter une motocyclette et le carburant nécessaire pour aller en Inde. Je suis orienté vers la maison du vélo, association qui permet de réparer sa bicyclette soi-même et surtout qui vend des vélos d’occasion ! Je déchante rapidement lorsque l’employé m’explique qu’ils n’ont plus beaucoup de vélos d’occasion en stock. 

« Va voir sous le portique s’il y en a un qui t’intéresse » me dit-il.

Effectivement, il n’y a rien qui pourrait me convenir. Mais un tas de vélos suspendus attirent mon attention. Ils sont en mauvais état, il manque des selles, des roues, certains sont rongés par la rouille d’autres couvert de cambouis. Je repère un vieux VTT blanc. C’est un Rockrider non suspendu en acier fabriqué par Décathlon, le genre simple et robuste qu’il me faut. Je demande alors si ce vélo est à vendre et l’homme m’explique que ce sont des vélos qui doivent être remis en état avant d’être cédés. 

« Je vais le réparer, il n’y a pas de soucis » je lui répond enthousiasmé.

« Vois ça avec George »

George est un bénévole de l’association, le genre de type qui ne laisse rien transparaître sur son visage, ne parle pas beaucoup mais qui est une mine d’informations. Ensemble nous récupérons des pièces à droite à gauche pour remettre la bicyclette en état de rouler. J’aime ce genre de personnage où le bla bla inutile n’a pas sa place. Je préfère travailler dans la pudeur et le silence à découvrir des pépites d’informations qu’à écouter de longs monologues qui ne servent qu’à cacher un vulgaire manque d’expertise.

À la fin de l’après-midi, nous avons révisé la direction, installé un nouveau système de freinage, monté un porte-bagages, une nouvelle potence, un guidon papillon et un porte gourde. Je traverse Toulouse pour rejoindre la voiture, fier comme un roi sur mon nouveau vélo.

J’y installe ensuite deux sacoches à l’avant, un éclairage, un étui pour le téléphone et une plate-forme fabriquée avec des morceaux de palettes pour poser mon gros sac à dos à l’arrière. Après m’être perdu dans les dimensions des pneus et des jantes car il existe trois normes différentes (française, anglaise et européenne) je parviens à monter des pneus et des chambres à airs réputées increvables. Ma monture est fin prête pour l’aventure !

La veille du départ, j’écoute la radio en me préparant.

Météo : « Demain le temps sera ensoleillé à Albi. On annonce un vent d’autan soufflant à 80km/h ». Parfait, je partirai avec le vent de face… 


Au petit matin, je charge le vélo pour la première fois. Rien qu’en le poussant je sens qu’il est assez lourd. Je sors la balance pour en avoir le cœur net : 50 kg tout rond, 30kg sur la roue arrière et 20kg sur la roue avant. Avec le bonhomme dessus on dépasse les 120kg. 

Étonnamment, les premiers kilomètres me paraissent relativement faciles. Mes parents m’accompagnent sur une  vingtaine de kilomètres pour le début du trajet. Mon but est de rejoindre le canal du midi à Castelnaudary. J’ai toujours entendu dire qu’il y avait une piste cyclable le long de ce dernier, ce qui sera pour moi un itinéraire royal pour rejoindre la côte méditerranéenne. 

À la tombée de la nuit, je parviens à mon objectif, mais c’est bizarre la piste cyclable ne ressemble pas trop à ce que j’imaginais. Il fait presque nuit, je plante la tente et je verrai avec le jour si je suis au bon endroit ou pas. Un orage pendant la nuit conforte mon choix pour la tente que j’utilise. Heureusement que je n’ai pas choisi le modèle premier prix ! 

Au petit matin, le verdict tombe, je suis bien sur la piste cyclable faite de graviers mal tassés. Je me dis que c’est encore une idée d’intellectuel qui cherche à réduire les coûts. Moi qui m’attendais à une autoroute cyclable à la néerlandaise, je suis déçu. Mais je ne suis pas au bout de mes surprises puisque dix kilomètres plus loin, la « piste cyclable » rétrécie jusqu’à devenir un vulgaire chemin de randonnée. Les trous et les bosses me font sauter dans tous les sens. Après avoir sorti tous les jurons que je connais et haï ceux qui appellent cela une piste cyclable (ils devraient aller faire un tour aux Pays-Bas), je prie pour que mon vélo et mes pneus tiennent le coup. Les pneus hurlent de douleur et l’idée de crever me hante. D’autant plus que je n’ai pas de pompe pour regonfler la chambre à air en cas de pépin. Dans la précipitation du départ j’ai perdu ma petite pompe ce qui ne m’a pas inquiété plus que ça car je comptais en acheter une dans un Décathlon sur la route… Heureusement par endroits la piste redevient en meilleur état et je peux foncer à une vingtaine de kilomètres par heure vers le Sud.

Deux jours plus tard, j’arrive à Béziers où se termine le canal du midi. Le bitume sonne pour moi la fin de ce calvaire cyclable. Je trouve même un magasin pour acheter la pompe et les derniers outils qui me manquaient.

La fin (ou le début) du canal du Midi côté Méditerranée

Je fonce vers la Camargue en gardant la mer sur ma droite. La présence des villes balnéaires m’est annoncée par la qualité des pistes cyclable. C’est étonnant de constater à quel point les intellos peuvent faire de belles choses lorsque l’on n’est plus au milieu de la campagne. C’est sur l’une de ces belles pistes cyclables bondées de retraités en vélos électriques qu’un homme m’interpelle. Il me demande une rustine pour réparer sa crevaison. Hésitant à sortir mon bazar pour aller chercher le sain morceaux de caoutchouc, je me dis ce sera l’occasion de faire une pause en augmentant mon karma. J’aide le cycliste qui a l’air aussi dérangé de rater son rendez-vous que de me retarder dans mon périple. Je mets un peu de temps à comprendre comment sortir la chambre à air de ces nouveaux vélos où le pneu est collé sur un côté de la jante. Une quinzaine de minutes plus tard, le pneu est regonflé et je suis de nouveau en route. Le vent légèrement dans le dos je fonce à  30 km/h en puisant mon énergie de la satisfaction que j’éprouve à doubler toutes ces bicyclettes qui roulent au nucléaire. 

J’observe dans le rétroviseur un cycliste qui me colle. Par fierté, je m’efforce de conserver le rythme. Au bout de quelques minutes, le cycliste se met à mon niveau. Le sexagénaire m’explique qu’il avait l’habitude de traverser la France en vélo dans sa jeunesse. Il juge ma vitesse décente et se propose d’être mon guide pour traverser Sète. Ainsi, nous franchissons ensemble la ville « à fond les ballons » d’après l’expression de ce cher monsieur.

Je juge bon de m’arrêter camper près de la mer. En pleine nuit, un bruit me réveille. J’ai l’impression que quelqu’un est en train de fouiller dans mes sacoches. Je sors brutalement de la tente la lampe frontale sur la tête. Il n’y a rien. Je me renferme dans mon sac de couchage. Une minute plus tard, le bruit recommence. En pleine nuit, je me résous à vider le contenu de mes sacoches. En regardant de plus près, je m’aperçois qu’il y a un trou parfaitement découpé sur le dessus de l’une d’elles. Le coupable ne peut être qu’un crabe mais impossible de le trouver, il a dû fuir. Je laisse tout de même un morceau de Banana cake à coté du vélo, histoire de ne pas me retrouver avec plus de trous. Le lendemain je mange les miettes du gâteau, le crabe a dû se régaler.

Confucius disait : « si tu penses que tu es trop petit pour changer les choses, dors avec un moustique dans ta chambre et tu verras qui empêchera l’autre de dormir. » Cette nuit, mon moustique était muni de deux pinces et prêt à tout découper pour un peu de nourriture.


La journée du lentement est difficile, j’expérience la pluie pour la première fois du voyage et je me dis que j’ai peut-être oublié de prendre en considération cet élément avant mon départ. Ainsi je traverse la Camargue et ses flamants roses au rythme des averses. C’est éprouvant pour l’esprit mais je suis récompensé par un magnifique coucher de soleil à la fin de la journée.

Un coucher de soleil inattendu au sommet d’une coline

À l’approche de Nice, je commence de plus en plus dénoter avec la jet-set de la French Riviera. Mais je me dis que c’est ce contraste qui donne des saveurs à la vie. Comme ce serait triste si nous avions tous les mêmes voitures, maisons et vêtements.

Alors que j’entame l’une de ces innombrables montées de la côte Méditerranéenne, je distingue une silhouette en train de descendre la côte sur la voie opposée. L’homme chevauche ce qui me semble être un vélo s’arrête tant bien que mal en me faisant de grands gestes. De loin j’ai l’impression que c’est une sorte de SDF mais en m’approchant, je découvre un personnage tout droit sorti d’un récit de Sylvain Tesson. Il a la barbe longue, les ongles noirs, des souliers troués et parle un anglais maladroit. L’homme est usé et si les os pouvaient rouiller je crois bien que les siens seraient rongés. Sa mobylette allemande datant de la seconde Guerre Monde est couverte de crasse et les rares endroits qui ne le sont pas sont rouillés. Il a un casse qui ressemble à celui des soldats et une petite mallette à l’avant de son cyclomoteur. Cet épicurien russe voyage depuis longtemps sur les routes européennes et me conseille de « tourner à droite après le tunnel » pour évoluer sur une route avec moins de déniveler. Pendant que nous discutons, les voitures sont contraintes d’éviter cet homme impassible de sentir le souffle des véhicules qui le frôlent. Parfois je distingue les regards ahuris des automobilistes qui n’osent pas klaxonner sous peine de déranger un tel personnage. Vivant de la musique de rue, il veux me donner quelque chose.

« Je n’ai besoin de rien, j’ai tout ce qu’il me faut dans mon sac » je lui dis avant de lui demander s’il a besoin de quelque chose.

«J’ai tout ce qu’il me faut aussi » dit-il avec un grand sourire.

Nous nous quittâmes avec une forte poignée de main qui confirmait bien les origines slaves du bonhomme.

En pédalant, je médite sur cette rencontre. C’est fou comme certaines personnes peuvent dégager une telle impression de sérénité avec si peu de possession matérielle.


Finalement après sept jours de voyage, j’arrive à la frontière en la France et l’Italie avec 750 km dans les jambes.

Je sais que ceux qui connaissent la date exacte de mon départ commençaient à s’impatienter d’avoir de mes nouvelles mais ces premiers jours ont été éprouvants. À la fin de chaque journée, j’utilisais le peu d’énergie qui me restait pour monter la tente et je m’endormais immédiatement après avoir soupé. Il m’est arrivé de faire des nuits de 13h, mon corps avait besoin de récupérer. Trouver la force d’écrire dans ces conditions est difficile mais je commence à trouver un rythme qui me permettra de vous partager la suite du voyage prochainement.

9 réponses sur “Un diplôme en poche et une aventure qui redémarre !

  1. Toujours autant de plaisir à te lire pour te suivre dans cette nouvelle aventure.
    Merci pour ce partage.
    Bonne route.
    Bises.
    Marie-Jo.

  2. Bravo Timothée et merci pour ce partage enrichissant et si loin de notre quotidien.
    Je prendrai plaisir à lire la suite de tes aventures et peut-être également enfin lire un bouquin de Sylvain Tesson qui me fait effectivement beaucoup penser à toi.
    Prends soin de toi et ménage ta monture pour aller loin.

  3. coucou timothée. quel bonheur de recommencer à lire tes aventures.
    j espère que ton courage te permettra d atteindre ton objectif. nous sommes à fond avec toi du coin de notre cheminée.
    bon voyage. Ghislaine et Dominique lamy de Segalas.

  4. Félicitations Timothee, on envie ton courage, et ton voyage. Nous allons suivre tes aventures car en plus tu es doté d’un talent de conteur !! ( maman d’Eliott et Sasha )

  5. Bravo Timothée ! Encore des idées à coucher dehors, et maintenant avec un vélo à tirer en plus….
    Boutades…..
    Bien sûr nous allons suivre ton nouveau périple de plus près, tu me fais voyager dans la tête. Tes précisions dans ton récit nous permettent d’être « en dedans ».
    Bon courage pour la suite…
    Cio Bambino.
    J. colombo.

  6. Cc Timothée,
    Tu nous a mis l’eau à la bouche en parlant de tes périples et je me suis empressé d’acheter ton premier livre ( mes enfants l’ont lu également).
    Et c’est un plaisir de te suivre dans cette nouvelle aventure.
    Bon courage avec ta nouvelle monture .
    Bien à toi.

    Jean Yves Munsch

  7. Timothée, félicitations pour votre diplôme et bravo pour votre nouvelle décision d’explorer le Monde !
    C’est toujours avec beaucoup d’intérêt que je découvre votre parcours audacieux.
    Bon vent à vous… de votre admiratrice de 95 ans.
    Maguy

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