Tchao l’Italie

Dès la frontière avec l’Italie passée, la côte semble retrouver un côté plus humain. Il y a beaucoup moins d’appartements de standing et les maisons sont habitées par des locaux. Les Italiens aiment le vélo et je croise un nombre incalculable de cyclistes qui me saluent à grands coups de : « Tchao ». Ça change des cyclistes français qui vous ignorent comme si le fait de dire bonjour allait dégrader leurs performances…

S’il y a bien une chose qui ne change pas de la France, ce sont ces innombrables montées et descentes qui me conduisent toujours vers de beaux points de vue.

Riviera Ligure

C’est dans l’une de ces pentes raides que j’entends derrière moi quelqu’un m’encourager : « Come on, buddy ! »

Une centaine de mètres plus loin je ralentis pour découvrir un voyageur à vélo beaucoup moins chargé. C’est un Français parti de Nice qui est en route avec sa copine vers la Grèce. J’apprends que demain il quittera le littoral pour passer un col et s’enfoncer dans le nord de l’Italie. Je n’ai aucune idée de mon itinéraire et je lui demande s’il est possible d’éviter ce col qui promet d’après lui 1000m de dénivelé positif avec des pentes de 7% et 14%. Mais à moins de descendre jusqu’à Rome, il est impossible d’éviter les montagnes. 

Le soir dans ma tente je prends de décision de passer ce col. J’ai vu qu’ils annonçaient de la pluie pour demain et je me convaincs que quitte à avoir une journée compliquée autant que cela soit jusqu’au bout. 

Je m’élance le lendemain sous un léger crachin. Une trentaine de kilomètres me conduisent au pied du col. Avant d’attaquer la partie la plus dure, je fais un bon goûter comme j’avais l’habitude de faire chez mes grands-parents : de la saucisse sèche et du pain. C’est radical et je monte le sommet à une allure constante de 7 km/h. J’ai droit à un brouillard aveuglant pour les derniers kilomètres histoire de ne pas savoir quelle est la distance qui me reste à parcourir avant le sommet. Je ne vois qu’à une vingtaine de mètres devant moi ce qui est amplement suffisant à mon allure. Je croise le regard ahuri de quelques chasseurs dans leurs 4×4 qui doivent me prendre pour un fou d’être en short et t-shirt par ce temps d’hiver. À défaut de distinguer le haut de la montagne, ce sont des rafales de vent et le vrombissement d’une éolienne qui m’indiquent le sommet. Je m’étais mentalement préparé à un effort beaucoup plus difficile au vu des pourcentages annoncés la veille par le cycliste français. Les gros chiffres font toujours peur lorsque l’on n’a pas de moyen de comparaison ni d’expérience. Je redescends l’autre versant en faisant la course avec des nuages chargés d’eau. Jusqu’à Parme la région est desserte. Le soir, un vieux chêne me protège tant bien que mal de la pluie.

Une éclaircie de l’autre côté du col

Le nord de l’Italie est très industrialisé et ce matin, je me fais doubler par une ribambelle de camions immatriculés dans toute l’Europe. Chaque fois que l’un d’eux me dépasse, je sens la chaleur du moteur et prit dans l’aspiration mon tachymètre s’incrémente. La route est mouillée, il pleut par intermittence et le trafic routier est affreux. Je suis pourtant sur une route secondaire. Ayant promis à ma grand-mère que je serai prudent, je décide de quitter cette route dangereuse au bout d’une dizaine de kilomètres pour de toutes petites routes de campagne jonchées de nids-de-poules.

En voyant toutes ces usines, je comprends mieux le terme économique de “balance commerciale excédentaire”. Cela signifie que malgré sa dette importante l’Italie exporte plus de produit que ce qu’elle en importe. C’est aussi flagrant dans les magasins. La très grande partie des produits sont fabriqués en Italie : des légumes jusqu’au riz en passant par les produits hygiéniques.


À l’approche de Venise, je me retrouve encore sur une route très fréquentée. Depuis mon départ, je suis étonné de voir tant de voitures rouler peu importe l’heure ou le jour de la semaine. Pendant que je pédale, je pense à toute cette énergie que nous dépensons. Monsieur et madame tout le monde ne se rendent pas compte du travail nécessaire pour se déplacer. Ils n’imaginent pas l’effort supplémentaire engendré par le vent ou une pente. Le pied s’enfonce simplement de quelques millimètres supplémentaires sur la pédale d’accélérateur et le problème est résolu. À l’inverse, je sens toutes les subtilités de la route et la moindre brise de face fait chauffer mes cuisses.  

Ce défilé permanent de véhicule est pourtant à l’opposé des beaux discours écologiques ou de la sombre menace inflationniste. Je ne peux pas m’empêcher de me demander si tous ces automobilistes ont vraiment une raison valable pour se déplacer en brûlant du pétrole. Quand je pense qu’il y a 40 ans, Renault fabriquait une voiture qui consommait seulement 5 aux 100 km la « 4 GTL ». Aujourd’hui rares sont les véhicules qui font mieux que ça. Mais il a fallu alourdir les châssis pour améliorer le confort, pour gagner en sécurité et pour rouler plus vite. Tout cela est-il vraiment nécessaire ?

Savez-vous que 70% du carburant consommé par votre voiture est perdu en chaleur ? Cette chaleur je la ressens lorsque de gros camions me dépassent. La voiture est-elle le moyen de transport le plus adapté pour faire de petites distances ? Car en plus du rendement médiocre des moteurs thermiques, la loi de la gravité et des frottements jouent aussi en notre défaveur. Plus un véhicule est lourd, plus il consomme. Croyez-moi, on le comprend encore plus facilement avec un vélo ! Au lycée, j’avais un professeur qui avait une belle métaphore pour imager cette in-efficience énergétique : « deux tonnes d’acier pour transporter  50 kg de viande, c’est idiot ! ». Il aimait se moquer des petites femmes conduisant de gros SUV. 

Le corps humain n’est pas non plus d’une efficacité redoutable car une grande partie de nos calories ingérées sont aussi dissipées sous forme de chaleur. Mais malgré tout, je reste plus efficace qu’une automobile grâce à la relative légèreté de mon vélo.

Quand je pense qu’avec un demi-litre d’essence je peux me faire à manger tous les soirs grâce à mon réchaud. Avec la même quantité, une automobile ne pourrait parcourir que 10 km … 

Camping dans les vignes

Je suis content de constater que mon corps tient la route. Hormis un mal de genou droit que j’ai soigné en forçant plus avec la jambe gauche pendant une journée, tout va bien. Les courbatures n’ont pas le temps de me faire souffrir vu que je fais du vélo tous les jours. Mais le soir lorsque je m’allonge sur le ventre et que mes cuisses s’enfoncent dans le matelas, je sens la fatigue des muscles et une légère douleur sur les quadriceps.

J’arrive à Mestre la grande ville qui fait face à Venise en fin de journée. La circulation dans le sens opposé est si intense que la file de voitures créée un véritable courant d’air qui me ralenti. Je passe régulièrement devant des camping-cars garés au bord de la route. Tiens c’est marrant tant de voyageurs qui passent la nuit ici ! Ce n’est qu’un peu plus tard que je réalise que la ville est parsemée de prostitués. Près du port de marchandises les tableaux de bord sont ornés de petites lumières rouges. Les marins doivent avoir besoin de voyager vers d’autres cieux avant de prendre le large.

Après avoir fait demi-tour sur une route à sens unique qui s’avérait déboucher sur une autoroute, je m’offre une pizza bien chaude. C’est au moment de payer que j’observe concrètement un deuxième phénomène économique : l’inflation. L’été dernier lors d’un séjour en Sicile une pizza assez grande pour nourrir deux gros mangeurs (il n’y a pas d’équivalent en France) coûtait moins de 10€. Aujourd’hui pour 8€ et des poussières j’avais droit à une pizza de taille moyenne qui ne me suffisait pas pour souper. La pizza doit être l’un des plats qui à le plus souffert de l’inflation puisque les deux composants essentiels sont le blé pour la pâte et l’énergie pour le four. Heureusement que la mienne était succulente. 

Je trace ma route en suivant le golfe de Venise pour arriver en Slovénie. Une fois la frontière passé, je trouve de belles pistes cyclables sur la route de Pirano. Il y a même une signalétique spéciale pour les vélos. Et c’est toujours surprenant de constater à quel point les automobilistes respectent les passages piétons et cèdent la priorité aux cyclistes. Après deux semaines à dormir dehors, je m’accorde une nuit dans une auberge de jeunesse pour recharger les batteries de mes appareils et faire une lessive.

Je n’arrive pas à faire tout ce dont je voulais car je passe une bonne partie de la soirée à discuter avec ce retraité suédois qui voyage en Europe. Je réalise que depuis deux semaines, je n’ai quasiment pas eu de discussion avec d’autres personnes. Cela fait toujours du bien de rencontrer un voyageur !

4 réponses sur “Tchao l’Italie”

  1. ta traversée de l’ Italie te fait découvrir ce nord industrialisé par de multiples petites fabriques, urbanisé ou la voiture est encore reine .Comme disait Coluche les italiens sont plus joyeux que les français dans leur bazarello ambiant . Apres les biceps le velo va te faire avoir des mollets ert des cuisses de feu sans oublier le gainage . bonne continuation . Jacqueline , Joseph

  2. Je suis ravie de pouvoir à nouveau te lire.
    C’est un plaisir de voyager avec toi.
    En cette veille de Noël, nous t’envoyons nos affectueuses pensées.

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