L’Inde du Sud

Ce que j’aime dans ces pays asiatiques c’est de me promener sans savoir où je vais. Souvent je tombe sur des choses intéressantes que je n’aurais pas vu si je m’étais contenté de recherches internet. 

La ville de Mysore est, d’après les dires de deux jeunes rencontrés dans une ruelle, la ville la plus propre d’Inde. C’est vrai que comparativement aux autres villes que j’ai vu, celle-ci est relativement propre. L’air ne sent pas mauvais et une grande partie des routes sont dépourvues de déchets. Rien à voir avec la propreté d’une ville française mais cela reste tout de même agréable.

Je tombe par hasard sur une magnifique cathédrale construite à quelques pas d’une mosquée toute aussi jolie. Au cœur de la cathédrale se trouve une crypte dont le couloir passe sous l’édifice pour déboucher sur une entrée plus discrète à l’extérieur. Je me demande comment se fait-il qu’en Inde une cathédrale soit en si bon état de conservation intérieur alors que sur le vieux continent les peintures des murs ont disparu depuis des années…

À l’heure du repas je m’amuse à chercher l’endroit dans lequel je pourrais manger avec le moins de roupies possible. Ce soir je pense que j’ai trouvé le Graal. Je paie 40 INR  pour une copieuse assiette de riz frit avec un œuf, puis je termine le repas par un jus de melon pour 20 INR et une grappe de bananes pour 20 INR. Total du dîner : 80 INR soit 0,90 € !

Je prends aussi soin de mon corps et me rends dans une salle de sport dont j’ai trouvé l’adresse sur internet. Le propriétaire m’autorise à m’entraîner gratuitement et refuse catégoriquement le petit pourboire que je veux lui laisser après les 1h30 d’entraînement. Les Indiens sont décidément un peuple accueillant !


Road-trip dans le Kérala

Je partage la suite du voyage avec Ine une Norvégienne rencontrée dans une auberge de jeunesse. Nous prenons la route pour un road-trip dans le nord du Kérala à bord d’une moto louée à cet effet. La petite bicyclette de 100 cm³ nous transporte à une vitesse moyenne de cinquante kilomètres par heure ce qui est parfait pour admirer le paysage. Mais le baiser de l’asphalte est souvent mortel. Les routes indiennes ne pardonnent pas et un instant d’inattention peut avoir de lourdes conséquences. Les ralentisseurs qui ne sont pas signalés en avance et dont la peinture au sol a disparu sont de véritables pièges à motocyclistes. Il en va de même des trous éparpillés sur le bitume que j’évite en slalomant. Si la route n’est pas parvenue à bout du motard inattentif ce sont les autres automobilistes qui s’en chargeront. Les voies ne sont pas matérialisées sur le goudron et il n’est pas rare qu’en face une voiture double un camion ne me laissant que la maigre voie d’arrêt d’urgence pour avancer.

Kabini reservoir

Une randonnée me conduit jusqu’à un point de vue qui me permet d’admirer les paysages boisés de cette région du Kérala.

Je prends l’habitude de la conduite à l’indienne et je trouve dans le chaos de la route une certaine liberté. Pas besoin de se soucier de quel côté doubler ou de la vitesse à laquelle rouler : chacun fait un peu ce qu’il veut. La seule condition pour que ce chaos routier ne mène pas à la destruction c’est le klaxon !

La jauge d’essence de la motocyclette ne fonctionne pas et le réservoir est conçu de façon à ne pas voir le fond. J’ai estimé la consommation à deux litres aux cent kilomètres mais notre vitesse plus élevée sur le trajet retour me laisse perplexe. Je rajoute un demi-litre au cas où. 

Les kilomètres filent et je m’assure que nous arriverons à l’heure pour rendre la moto, histoire de ne pas avoir à payer un supplément. Le loueur n’était pas très courtois lorsque j’avais récupéré l’engin à deux roues. Ce dernier avait essayé de m’arnaquer pour le prix du casque en me faisant payer le double du tarif affiché.

À l’entrée de Mysore, je ressens un léger tremblement dans le guidon. Je me dis que cela doit être lié aux imperfections de la route. Un kilomètre plus loin, le moteur tousse timidement avant de s’arrêter pour de bon. Je me résous à pousser, les mains sur le guidon en courant sur le bord de la route. Rapidement un bon samaritain en scooter s’arrête. Depuis sa monture il me propulse. Sa jambe sur mon pot d’échappement fait office de barre de remorquage. Je remarque de nombreux officiers de police au bord de la route et l’un d’entre eux nous fait signe de nous ranger sur le bas-côté. En l’espace d’une minute la deux fois deux voies se retrouve déserte. Soudain des sirènes retentissent, des motos puis des voitures de police escortent un véhicule contenant apparemment un membre important du gouvernement. Les Indiens ne font pas les choses à moitié ! 

Enfin nous rallions une station service, un demi-litre et un coup de kick suffisent à redonner vie à notre compagnon à deux roues. Miraculeusement nous rendons la moto à l’heure et prenons un bus de nuit pour Coimbatore.


Prendre de l’altitude et un bol d’air frais

L’autobus n’est pas un « sleeper » (bus avec lit) mais un simple car avec des sièges inclinables. Le trajet aurait pu être relativement confortable si le bus ne s’était pas arrêté pendant trois heures au milieu de la nuit. Sans air conditionné et avec le gros chauffeur dormant dans le seul petit lit au fond du bus juste à côté de moi, mon sommeil est perturbé par les raclements de gorge et les bruits en tout genre de l’Indien sans-gêne. 

La journée du lendemain n’est pas de tout repos puisque j’enchaîne les bus publics pour me rendre à Munnar dans les montagnes du Kérala de l’ouest. La chaleur suffocante des basses terres chute à mesure que le bus prend de l’altitude. Soudain au détour d’un virage la montagne se révèle sous sa plus belle robe.

Plantation de thé dans la région de Munnar

Bien que touristique, la ville de Munnar a conservé son authenticité et les vacanciers sont majoritairement indiens. Il n’y a pas de petites exploitations de thé et les grandes propriétés appartiennent à de riches familles telles que Tata. Alors que je progresse entre les rangées de ces petits arbustes de 90 cm, je rencontre deux européens qui m’expliquent qu’il est interdit de se promener dans les chemins de l’exploitation et dans le village à proximité. Je choisis d’ignorer l’avertissement et poursuis ma route en direction du mont Anamudi qui est l’un des plus hauts sommets de l’Inde du Sud avec ses 2695 m d’altitude. Ma progression est vite stoppée par deux jeunes Indiens qui me rappellent à l’ordre. Je fais demi-tour en râlant et maudissant celui qui a instauré une telle règle. J’apprends que l’autre entrée pour accéder au mont est payante alors je change de stratégie. En marchant au bord de la route, je découvre un autre sommet qui semble accessible via l’une de ses arrêtes. Je traverse une autre plantation de thé avant de me faufiler dans la forêt à la végétation dense. À mesure que je prends de l’altitude les arbres se retirent pour laisser place à de hautes herbes dont doivent se régaler les éléphants. Enfin le chapeau rocheux marque le sommet de la montagne et la fin de l’ascension.

Je me dépêche de redescendre sur l’autre versant avant que le soleil ne s’éclipse et que la nuit n’efface le paysage. Alors que je marche au bord de la route totalement sombre, une motocyclette s’arrête. L’homme me propose gracieusement de me conduire au village. Il est la seconde personne à me parler des éléphants sauvages et du risque qu’ils représentent à la tombée de la nuit. J’apprends que la veille un troupeau d’éléphant a tué un homme et que ce genre d’accident est malheureusement courant dans cette région montagneuse.

Après avoir mangé un plat de riz frit, de la musique attire mon attention. J’observe de loin des hommes en train de faire un karaoké, l’un d’eux s’approche de moi. Quelques secondes plus tard, je me retrouve invité à manger pour la deuxième fois de la soirée. Je vole malgré moi la vedette à l’homme qui fête son départ à la retraite. Nous mangeons, dansons et prenons une multitude de photos. La fatigue me rappelle à l’ordre et je quitte mes nouveaux amis pour le calme d’une petite chambre. 

Le lendemain je suis invité à un mariage par l’homme qui m’avait pris sur sa moto la veille. Le déroulement de cette fête diffère de nos mariages occidentaux. Les invités prennent une photo et offrent un cadeau aux mariés. Le couple à l’honneur se tient sur une estrade joliment décorée. Les convives pénètrent ensuite dans une grande salle où de la nourriture est servie jusqu’à satiété. Sakim qui m’a invité est le cuisinier du mariage et sa cuisine est succulente.

Plat principal du mariage : du riz, du poulet et des légumes bien épicés !

Redescendre vers la mer et rester cool

Le chauffeur de bus descend la montagne à toute vitesse en doublant voitures et camions dans les petites routes en lacet. La distinction entre chauffeur et chauffard est minime. Quelques frayeurs plus tard je parviens à Alleppey réputé pour ses canaux et étendues d’eau. J’enchaîne avec un train pour me rendre à Varkala. Le transport ferroviaire est beaucoup plus sûr et confortable comparé à l’anarchie de l’asphalte.

À la tombée de la nuit je trouve une petite chambre abordable proche de la gare de Varkala. Je me promène dans la ville et au bord de la plage le lendemain. Les interminables étendues de sable fin attirent les touristes de toute l’Europe ce qui fait perdre un peu de charme à ce lieu paisible. En fin de journée je décide de faire un jogging sur la plage. Je cache mon sac entre deux rochers et emporte avec moi mes papiers, la majeure partie de mon argent et mon téléphone. Au bout de dix minutes je suis invité à faire une partie de volley avec des jeunes du coin. Pendant que nous jouons et prenons du bon temps, un triste événement se produit à quelques centaines de mètres plus loin sur la plage.

Je finis la course à pied après le crépuscule. Trois hommes en train de boire de l’alcool sont assis sur les rochers où j’ai caché mon sac. Un mauvais pressentiment traverse mon esprit. Alors que je m’approche je distingue mon sac sur le sable avec son contenu éparpillé. Impossible de savoir si ces hommes sont responsables et bien sûr ils jouent les innocents en me conseillant de ne jamais laisser mes affaires sur la plage. Les 500 roupies (6€), mon couteau et ma fourchette de camping ont disparu mais ce qui m’énerve le plus c’est qu’on m’a aussi volé mon Opinel. Ce couteau pliant si pratique est impossible à trouver en Inde. J’enrage sur le chemin du retour et je m’en veux d’avoir laissé mes affaires sans surveillance. Sur la route du retour un petit chien joueur fait passer ma colère et capture ma mauvaise énergie.


La vraie vie du backpacker

 Je continue à descendre la côte Ouest jusqu’à Nagercoil. Le train me dépose à la gare une fois la nuit tombée et je marche cinq kilomètres pour rejoindre le lieu où j’ai réservé une chambre via internet. Il est vingt-deux heures lorsque je pénètre dans l’établissement au bord de la plage. Le gardien me regarde avec méfiance et ne comprend pas un mot d’anglais. Un touriste indien fait la traduction. Visiblement aucune chambre n’est disponible. Je rétorque en montrant ma réservation ainsi que mon compte en banque sur lequel la nuitée a été débitée. Après avoir passé plusieurs coups de fil l’homme me tend son téléphone. L’interlocuteur m’explique qu’il n’a plus de chambre disponible et qu’il va me rembourser. Qu’importe, j’ai besoin d’une chambre et d’un lieu où dormir. Au bout d’une quinzaine de minutes deux hommes arrivent à bord d’une moto. L’un d’eux au ton agressif me demande mon passeport. Je refuse catégoriquement de lui donner tant que je n’ai pas de lieu où dormir. Je discute avec de nouveaux interlocuteurs au téléphone qui sont les propriétaires du lieu. Ces derniers ne sont visiblement pas enclins à me payer un taxi pour rejoindre la ville où d’autres hébergements sont disponibles. Je suis à plus de cinq kilomètres du centre-ville et j’exige que ces derniers me trouvent un moyen de locomotion pour quitter ce lieu isolé. Coup de téléphone après coup de téléphone la situation semble bloquée. Mais j’ai payé ma chambre et ce n’est pas mon problème s’ils ne sont pas capables de gérer leurs réservations convenablement. J’ai droit à une multitude d’excuses différentes : la réservation en ligne n’a pas fonctionné, l’établissement n’accepte pas de touristes étrangers, etc… Il est désormais vingt-trois heures trente quand les hommes me demandent de sortir du lieu. Hors de question car je sais qu’ils fermeront le portail derrière moi. Les hommes commencent à se moquer de ma détermination compte tenu du prix dérisoire que j’ai payé pour la chambre. Ma patience a des limites et je commence à en avoir assez.

« Vous rigolez, très bien. J’appelle la police et on va voir qui a raison. J’ai la preuve que j’ai réservé ma chambre et que le paiement a été débité de ma carte. Vous expliquerez la situation à la police.» leur dis-je en anglais

Plus personne ne rigole. Un air grave remplace désormais les visages moqueurs. En l’espace de deux minutes on m’attribue la chambre du gardien en me priant de la quitter au petit matin. Le lit est minuscule, les draps ne sont pas propres et des blattes d’une dizaine de centimètres se promènent dans la salle de bain. Qu’importe de toute façon je me ferai rembourser cette nuit par le site internet. La nuit est de courte durée puisque je suis réveillé par le gardien qui frappe à la porte à six heures du matin. Je lui explique que je quitterai le lieu à huit heures comme convenu avec les autres personnes. Vingt minutes plus tard, il revient à l’assaut de la porte. J’ouvre brusquement le visage plein de colère, lui hurle « huit heures » en anglais avant de lui claquer la porte au nez. Cette fois il comprendra ce langage universel et je quitterai ce lieu maudit à huit heures pétante !

Je marche la journée du lendemain jusqu’à Kanyakumari qui est le point le plus au Sud de l’Inde. Une foule de touristes et quelques temples marquent ce haut lieu géographique.

Statue de Thiruvalluvar depuis le point le plus au sud de L’Inde

Un petit coin de France ?

Je remonte désormais vers le nord à bord d’un bus de nuit. L’épuisement de la veille me permet de dormir malgré les innombrables secousses et la conduite archaïque du chauffeur. Je descends à Pondichéry au petit matin. Ancienne colonie française, plusieurs boulangeries arborent les rues. Je suis déçu par le goût de la baguette que j’achète même si le propriétaire de cette boulangerie m’assure que tout est fait maison. L’alsacien d’une cinquantaine d’années possède plusieurs établissements du même type dans plusieurs villes d’Inde. À défaut de vraiment savourer du bon pain, j’en profite pour parler un peu français !

Avoir des attentes est le meilleur moyen d’être déçu et c’est ce que je ressens en me promenant dans la ville. Je m’attendais à admirer de vieux bâtiments à l’architecture coloniale mais la majorité ont été construits récemment. Je parviens à dénicher dans les petites ruelles un restaurant authentique. On me sert le South Indian meal composé de riz et de divers végétaux épicés servis sur une feuille de bananier. J’ai pris l’habitude de manger avec les mains comme les locaux. Tous les lieux de restauration disposent d’un robinet pour se laver les mains. Enfin, pour se laver la main droite car les Indiens réservent la gauche pour une utilisation dans les toilettes que je ne décrirais pas !

Je loge chez un couchsurfeur près d’Auroville à une dizaine de kilomètres de Pondichérry. Ce lieu de 2 000 hectares a été institué par une Française dans les années soixante. Haut lieu de spiritualité, une immense coupole dorée a été construite au milieu de différents jardins. Une communauté de deux cent cinquante personnes vit en ce lieu. Ne se revendiquant d’aucune religion, les habitants d’Auroville utilisent l’immense dôme comme lieu de méditation et vive en harmonie avec leur écosystème. Mirra Alfassa la créatrice de cette cité utopique a résumé sa vision en ces termes : « Il devrait y avoir quelque part sur Terre un lieu qu’aucune nation ne pourrait revendiquer comme étant sien, où tous les êtres humains de bonne volonté mus par une aspiration sincère [sous-entendu à la Vérité] pourraient vivre librement en citoyens du monde et obéir à une seule autorité, celle de la Vérité. »

D’après les dires de mon hôte ce lieu est en train d’évoluer. Autrefois un repaire de hippies faisant de nombreuses fêtes, Auroville est désormais plus « sérieux ».

Epicentre d’Auroville, le Matrimandir signifie « la Maison de la Mère »

Je ne peux m’empêcher de penser à ce que deviendra cet endroit dans le futur. L’attraction pour ce lieu spirituel sera-t-elle utilisée par certains comme outil de contrôle et de pouvoir sur les fidèles ? Que penseront les civilisations futures si elles venaient à découvrir un dôme d’or au milieu d’un parc aux formes géométriques ?

J’aurais le temps de méditer sur la question dans l’avion pour le Sri Lanka.

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