Le toit du monde

De toutes les frontières terrestres que j’ai traversées durant mes périples, celle entre l’Inde et le Népal est la plus surprenante. Il n’y a aucun blocage physique et la route passe d’un pays à l’autre sans interruption. Seuls deux militaires marquent la séparation. 

Alors que je marche dans la rue un homme m’interpelle et m’indique le bureau de douane indien situé dans une ruelle annexe. Une fois le passeport tamponné je pénètre du côté népalais où je suis invité à me rendre dans deux bâtiments différents dans lesquels un agent note mon nom sur un registre papier. Je cherche désormais le bureau pour payer mon visa. On m’explique que je dois encore marcher quatre cents mètres pour le rejoindre. Officiellement je suis déjà au Népal et je pourrais très bien sauter dans un bus et immigrer illégalement dans le pays en toute simplicité. J’imagine que la porosité de cette frontière est due à l’accord de libre circulation entre le Népal et l’Inde. Les habitants de ces deux pays n’ayant pas besoin de visa. Je parviens à trouver le bureau où obtenir mon visa de trente jours qui me coûte cinquante dollars. Je les donne à un homme juste devant le bâtiment. Il inspecte avec attention les trois morceaux de papier vert comme s’il s’agissait du Graal. Après les avoir mis dans sa poche il me donne un reçu rose qui me permet d’obtenir une étiquette supplémentaire dans mon passeport. J’embarque dans un minibus pour rejoindre la capitale Katmandou et jamais mon visa n’a été contrôlé !


Premiers pas au Népal

Le minibus climatisé promettait un trajet confortable mais il n’en est rien. Je découvre que la route principale est en construction et les détours qui contournent la fabrication des ouvrages d’art sont de simples pistes de terre. Le trafic intense a créé des ornières que les petits amortisseurs du minibus ont du mal à absorber. Comme si cela ne suffisait pas, nous nous arrêtons toutes les quinze minutes pour essayer de combler la dernière place libre. Les routes de l’extrême c’est super à regarder sous la forme d’un reportage de 50 minutes confortablement assis sur son canapé. Ça l’est bien moins lorsque vous mettez douze heures pour parcourir trois cents kilomètres !

Le bus me dépose sur un parking poussiéreux de Katmandou en pleine nuit. Une dizaine de conducteurs essaient de me convaincre de monter dans leur taxi. Ne voulant pas répéter la même erreur et revivre mon infortune d’Oulan Bator, je trouve un hôtel à cinq cents mètres de l’arrêt de bus. Je partage la grande chambre avec une Colombienne rencontrée dans le minibus et apprécie la stabilité de mon petit lit.

Vieux bâtiments, câblage électrique archaïque, rues poussiéreuses, Katmandou à des airs d’Oulan-Oude en Russie. Je déniche rapidement une auberge de jeunesse dans le centre et prépare mon expédition. Je commence par me renseigner sur les permis nécessaires pour mon trek dans le centre touristique prévu à cet effet. Ce que je retiens c’est que s’il faut un permis, des policiers m’arrêteront pour me le faire payer. J’achète une carte topographique, des crampons et un ticket pour me rendre à Phaplu en jeep. Ces trois achats me prennent une bonne journée car je passe de magasin en magasin pour avoir une idée du vrai coût des produits. Entre le premier tarif que l’on m’expose et le prix que je paie à la fin il y a parfois une différence qui va du simple au double ! 


En route pour l’Himalaya

La jeep me récupère à quatre heures du matin et charge mon sac sur le toit. À l’intérieur huit voyageurs s’entassent sur deux petites banquettes. Le plus chanceux est celui qui a droit à la neuvième place à l’avant. Après avoir récupéré plusieurs touristes, je suis invité à débarquer avec un couple d’Autrichiens pour changer de jeep. Nous sommes confus mais montons dans un nouveau véhicule quinze minutes plus tard. Une fois pleine, la jeep prend enfin la route direction Nord-Est.

Six heures plus tard le véhicule s’immobilise. Le pont pour traverser la rivière est en construction et une vingtaine de jeeps sont arrêtés sur les galets du lit de la rivière. L’eau peu profonde du cours d’eau doit être facilement traversable avec le 4×4. Un attroupement sur l’autre rive attire ma curiosité. Je saute de pierre en pierre pour aller voir. Je comprends qu’il s’agit en fait de locaux qui bloquent la piste. Ils réclament plus d’argent de la part du gouvernement pour reprendre la construction du pont. Une heure et demie plus tard le simple morceau de bambou est enlevé et nous reprenons notre périple.

La route serpente à travers la moyenne montagne montant et descendant pour passer d’une vallée à une autre. Tantôt bitume, tantôt terre battue lorsque le goudron a été avalé par une coulée de pierres. Finalement nous atteignons Phaplu en fin de journée. Ce soir à l’hôtel je commence ma cure de Dal bhat le plat traditionnel népalais. À 2500 m d’altitude la couverture chauffante du lit est un vrai luxe ! 


Début de l’aventure

Des pancakes et deux œufs plus tard, je m’apprête à entamer mon trek. Il faut savoir que plus l’on s’enfonce dans les montagnes népalaises plus la nourriture devient chère. Alors j’ai pris la décision (intelligente ou stupide ?) de faire les courses à Katmandou : 1 kg de riz complet, 1 kg de lentilles, 1.5 kg de biscuits, 500 g de beurre de cacahouète, 500 g de dattes, 1 kg de flocons d’avoine et quelques fruits. J’ai aussi fait le plein des 300 ml de mon réchaud en siphonnant le réservoir d’une moto (avec l’accord de son propriétaire) car les pompistes refusaient de me vendre de l’essence. Bref je suis lesté d’au moins 5 kg et estime le poids total de mon sac entre 20 et 25 kg. Je progresse doucement pour passer le premier col à 3000 m.

Arrivé au sommet en milieu de journée, le temps change brusquement pour recouvrir le paysage d’un voile gris. Je suis en train de redescendre dans la vallée lorsque la pluie se met à tomber. L’effort de la montée m’a poussé à revêtir un short et un t-shirt et je n’ai que mon pull à portée de main. Mes vêtements de pluie sont au fond de mon sac à dos et je n’ai pas vraiment d’endroit où m’arrêter. Les fines gouttes se transforment rapidement en un lourd filet d’eau. Par chance une maison apparaît au bord du sentier. Je m’abrite sous le seuil de la porte avant de pénétrer à l’intérieur. Les paysans népalais me servent du thé au lait et m’installent près du feu où je fais sécher mes affaires. J’avais oublié que la housse de pluie de mon sac à dos n’était plus étanche… Cinq tasses plus tard, je reprends la route.

La marche est de courte durée puisque le ciel a décidé de me tremper. Arrivé au village de Nunthala, je pénètre dans la première maison qui ressemble à une guesthouse. En fait c’est la demeure d’une famille avec trois enfants dont les plus petits ont cinq et neuf ans. Comme beaucoup de Népalais, le père est parti travailler aux États-Unis. En son absence, sa femme s’occupe de la ferme et des enfants. Pendant que le thé infuse, j’échange quelques mots d’anglais avec les petits qui sont les seuls à pratiquer la langue de Shakespeare. Très vite une amitié se crée. Ils me présentent avec fierté leurs cahiers d’école et leurs deux énormes nounours en peluche. La fin de l’après-midi passe au rythme des petits exercices de mathématiques dont raffolent les enfants. Je leur apprends aussi à jouer au morpion. Avant de partir la mère de famille me sert un bol de Tsampa (farine d’orge grillée), un plat plébiscité par les Sherpas. Les enfants me guident sous un parapluie jusqu’à la guesthouse de leur tante. Le petit garçon insiste pour porter mon petit sac à dos. Alors que nous marchons dans la rue pavée du village les deux enfants rejoints par un troisième bifurquent violemment vers la gauche pour passer dans le minuscule espace entre un poteau Tibétain et le muret. La tradition bouddhiste veut que l’on dépasse les monuments religieux toujours par la droite. Le sens horaire est pour les tibétains synonyme de positivité. 


Le surhomme

La journée du lendemain est éprouvante car je redescends jusqu’à 1500 m d’altitude pour franchir une rivière grâce à un pont suspendu fait de câbles d’acier, de barreaux de fer et de grillages. Je remonte ensuite jusqu’au village de Bupsa où je suis stoppé une fois de plus par la pluie. Apparemment la météo des prochains jours n’est pas vraiment idyllique. Je me souviens de ce que j’avais lu sur internet à propos de la pluie au Népal. Il pleut en moyenne 2 jours par mois en mars et 5 jours en avril. J’ai le pressentiment que tous ces jours de pluie vont me tomber dessus. Décidément la pluie et moi c’est une sacrée histoire. J’en viens même à me demander si je ne l’attire pas ! 

Le matin, j’essaye de commencer la marche le plus tôt possible car les précipitations n’arrivent qu’en début d’après-midi. Une heure après être parti, je retrouve le couple d’Autrichiens rencontrés dans la jeep et un sexagénaire australien en train de contempler la fin de la piste et l’éboulement qui a coupé l’accès au sentier. La construction d’une nouvelle route à grands coups d’explosifs et de pelleteuse a dû déclencher cet éboulement. Le sentier se trouve six mètres en contrebas et il faut descendre l’éboulis de petits graviers sans glisser dans le précipice. J’observe quelques gros rochers pouvant servir de prise pour les mains et des traces de pas prouvant que la descente est possible. Je m’élance le premier avec mon petit sac à dos et une fois sur le sentier je remonte chercher mon gros sac avant d’assurer et d’aider les randonneurs à descendre.

La suite de la journée est une vraie aventure puisque que je dois parcourir 600 m de dénivelé négatif sur un sentier boueux et fréquenté par des troupeaux d’ânes venant rajouter déjections et urine à cette terre déjà glissante. Les équidés avec leurs sabots n’ont aucun problème d’adhérence et par un miracle que je ne sais expliquer, les porteurs Sherpa en chaussures ouvertes descendent tout aussi vite. Je me contente d’avancer un pas après l’autre en essayant de deviner où se trouvent les pierres sous le fumier pour éviter d’enfoncer toute ma chaussure dans ce mélange puant. Après plusieurs heures de concentration intense et quelques glissades rattrapées de justesse, je m’arrête pour la nuit.

Je fais la rencontre d’un randonneur chinois rigolo qui m’explique que son docteur lui a conseillé de fumer en montagne car cela ralentirait les battements du cœur… Alors que mon ami en est à sa cinquième cigarette, un porteur que j’avais repéré du coin de l’œil dans la descente fait une pause juste devant nous. Son chargement ne passe pas inaperçu puisque les deux gros cartons doivent faire 1 m 50 de large et plus de 2 m de haut. Charrier sur son dos un paquetage si volumineux à travers le petit sentier est déjà un exploit en soi, mais je suis curieux d’en connaître le poids. Je m’approche pour découvrir qu’il s’agit de deux petits frigos. Sur l’étiquette de l’un d’eux il est écrit « net weight : 42 kg ». L’ensemble pèse donc 84 kg. Le porteur est un petit gaillard ayant un gabarit similaire au mien et si je ne l’avais pas vu marcher sur ce dangereux sentier boueux je n’aurais pas cru cet exploit. J’ai tout de même du mal à réaliser qu’il est possible de transporter tant de poids sur un sentier si glissant et à travers des pentes si abruptes. Même si le visage épuisé du Népalais ne laisse pas de doute, je veux ressentir le poids de ces deux boîtes. Le népalais dans toute sa gentillesse m’autorise à lever sa cargaison. Mes jambes fatiguées par la journée de marche peinent à soulever les frigos dont je confirme le poids ! Impossible d’avancer, je repose délicatement les deux paquets. Je m’incline légèrement vers le jeune homme en signe de respect. Cinq minutes plus tard, il enfile sur son crâne le bandeau attaché à la cargaison et hisse le tout sur son dos avant de disparaître. Faire dix squats à 80 kg dans une salle de sport c’est une chose mais descendre 600 m dans un sentier boueux et pentu où la moindre erreur est fatale avec des chaussures pourries, c’est un autre niveau !


Heureuse rencontre

J’ai désormais dépassé le village de Lukla d’où atterrissent la majorité des touristes sur la minuscule piste réputée pour être la plus dangereuse du monde en 2010. La différence est marquante car les sentiers sont désormais plus fréquentés et bien plus larges. 

En fin de journée je fais une courte pause pour consulter ma carte lorsqu’un homme entame la discussion avant de m’offrir une tasse de thé. Tachi est agriculteur et me donne avec plaisir quelques graines que j’essayerai de planter en France à mon retour. Face à une telle gentillesse, je lui demande s’il serait d’accord pour m’héberger. La nourriture étant précieuse dans les montagnes je participerai à ma part. Tachi accepte volontiers avec un grand sourire.

J’aide son neveu à préparer le dîner en début de soirée. Comme partout dans les montagnes l’utilisation du feu est privilégiée sur celle du gaz dont les bouteilles sont livrées par des ânes ou à dos d’hommes. Le bois étant aussi une ressource précieuse, toutes les cheminées sont construites sur le principe du rocket stove qui permet de cuisiner avec très peu de bois.

Je suis à 2800 m d’altitude et j’ai un léger mal de crâne. Je suis un peu confus et je dois me reprendre plusieurs fois pour compter sur mes doigts le temps qui me reste avant l’expiration du visa. Ce sont de toute évidence les premiers symptômes du mal des montagnes à moins que ce soit ce fond d’alcool de riz que Tachi m’a offert.

Heureusement, je suis en pleine forme le lendemain et je rejoins le village de Namche où j’ai prévu de faire un jour d’acclimatation. 

Jolie vue depuis le champ de Tachi (2 800 m)

Des interrogations et des calories

Tout ce dont j’ai besoin pour avancer ce sont des calories pour mouvoir mes jambes et des interrogations pour occuper mon esprit.

Cela tombe bien puisque sur le chemin quatre inconnues hantent mes pensées. La première : est-ce que mes chaussures tiendront jusqu’au bout du trek car une partie des crampons a complètement disparu et des trous se sont formés sur le tissu. Vais-je avoir le temps de finir mon trek car je n’ai droit qu’à 30 jours au Népal et j’en ai déjà utilisé 4 pour me rendre dans les montagnes ? Enfin j’ai emporté avec moi seulement 290,00 € qui doivent me permettre à payer les permis, la nourriture et la nuitée. J’ai fait le pari de ne dépenser que 10,00 € par jour alors que tous les sites internet recommandent un budget minimum de 20,00 € par jour. Enfin, je suis un peu inquiet concernant la réaction de mon corps à l’altitude car je n’ai jamais dépassé les 3000 m en montagne.

Comme tous les midis je cuisine mon déjeuner. J’alterne ente riz et lentilles pour varier les plaisirs. Sur un banc de pierre devant l’auberge, je déplie les trois petits pieds de mon réchaud et amorce le système à essence. La préparation est simpliste : de l’eau, quelques épices et du sel gris de l’Himalaya qui donne un goût d’œuf à la préparation et facilite la digestion. Mon petit réchaud attire la curiosité des locaux qui prennent plaisir à observer cet occidental cuisiner dans sa minuscule casserole d’un demi-litre. 

Pour dîner, je commande toujours le même plat : le Dal Baht ! Plat emblématique des montagnes composé de riz (Bhat), d’une soupe de lentilles (Dal), d’épinards à la vapeur et de légumes au curry. La tradition veut que l’on vous ressert jusqu’à que vous soyez repus. Ainsi, j’avale tous les soirs des quantités astronomiques de riz et de lentilles. Les porteurs Sherpa aiment répéter : Dal baht power (la puissance du Dal bhat) lorsqu’on leur demande où ils puisent leurs forces.


Journée d’acclimatation

En discutant avec un guide cet après-midi j’ai appris que la moitié des touristes prennent du Diamox, un médicament pour lutter contre le mal des montagnes. Je dois avouer que la réaction de mon corps à l’altitude me préoccupe. Je sens que mes mouvements sont naturellement plus lents et dans un instant d’inattention je monte les escaliers de l’hôtel à toute vitesse. Jamais je n’avais été autant essoufflé après n’avoir grimpé que deux étages. 

La journée d’acclimatation n’est pas une journée de repos. Suivant les conseils de Tachi, je prends de l’altitude pour stimuler mon corps et forcer la production de globules rouges. Mes pas sont désormais lents et je m’efforce de trouver un rythme qui me permet de progresser sans m’essouffler. Si je marchais à ce rythme à une altitude plus raisonnable, je me ferais doubler par tous les pensionnaires des maisons de retraite ! 

Trois cents mètres plus haut, je découvre au loin le toit du monde. La tête au-dessus d’une ligne de crête culminant à plus de sept mille mètres l’Everest pointe le bout de son nez. En dessous l’immense vallée marque le long chemin qui me reste à accomplir.

Je poursuis ma marche jusqu’au village de Khumjung. J’y découvre le vrai visage du Népal. À la différence de Namche où logent tous les touristes dans des hôtels raffinés et subtilement décorés, ici tous les bâtiments se ressemblent avec des murs en pierre et des toits faits de tôles vertes. Chaque maison possède son champ dans lequel les villageois travaillent activement à planter l’une des seules plantes qui pousse à 3 800 m d’altitude : la pomme de terre ! Certains cultivent aussi le saag (sorte d’épinard utilisé dans le Dal bhat) sous de minuscules serres. L’ambiance est totalement différente comparée à Namche. Pas de magasins ni de vendeurs essayant de me vendre des bibelots inutiles et hors de prix, mais des gens simples et authentiques qui m’offrent de grands sourires. Je suis invité à faire une pause devant le poste de police où les officiers me proposent de m’assoir quelques minutes. 

Comme je me sens en forme, je rallonge mon itinéraire jusqu’à Victoria Mémorial à 4 100 m d’altitude. Là-bas, j’y retrouve les vrais sentiers de montagne juste assez larges pour laisser passer un homme. C’est tout l’inverse du grand chemin qui mène au camp de base de l’Everest qui a été pavé en partie pour permettre l’accessibilité à ce lieu unique. 

Je passe une petite heure au-dessus de 4 000 m avant de redescendre.

Bon appétit !

Je suis désormais bien plus confiant quant à ma capacité à marcher en haute altitude. Le soir pendant le dîner, je rencontre souvent un couple de voyageurs allemands. Nous échangeons sur nos différents itinéraires et partageons les conseils que nous avons acquis auprès des locaux. Ce que j’aime par-dessus tout dans ces montagnes c’est de recroiser dans une auberge des trekkeurs rencontrés précédemment. 


Un hébergement authentique

Le lendemain je m’enfonce dans la vallée et progresse un peu plus vers le toit du monde. Je passe le deuxième check-point où des militaires contrôlent mon permis et notent mes informations personnelles sur un registre papier. Le permis pour rentrer dans le parc national de Sagarmatha s’obtient juste avant Namche et coûte 3000 NPR (20,00 €). La marche est épuisante puisque je dois descendre plusieurs centaines de mètres de dénivelé pour pouvoir traverser le torrent sur un pont en métal avant de remonter tout ce que je viens de descendre sur le versant opposé de la montagne. 

Suivant une fois de plus les conseils de Tachi, je ne m’arrête pas à Tengboche mais continue en direction de Deboche où d’après les dires de mon ami, les porteurs logent dans un hébergement peu onéreux. Je progresse désormais sur le versant exposé Nord sur lequel la neige transformée en glace peine à disparaître. Sur cette patinoire faite de boue et de glace, je passe une longue demi-heure à descendre cinquante mètres. Enfin arrivé au village après une seule glissade, je cherche un hébergement. Je pénètre dans une taverne fréquentée par les porteurs et demande une chambre. Le patron me fait comprendre qu’il ne possède pas de chambre. Ce n’est visiblement pas le lieu dont m’a parlé Tachi. Dans la guesthouse attenante, j’essaye de négocier comme à l’habitude. En général, j’obtiens une chambre gratuite en échange de quoi je m’engage à prendre mon dîner et petit-déjeuner dans l’auberge. C’est comme cela que ça se passe dans ces montagnes. Jusqu’à présent, je n’ai jamais payé pour la chambre mais aujourd’hui l’hôtelière semble camper sur ses positions. La demi-pension va me coûter 2 000 NRS (13,89 €) alors que jusqu’à présent je payais environ 1 000 roupies. J’essaye un autre lieu où les prix sont similaires. Je retourne dans la taverne et j’observe un dortoir à gauche de la porte principale. Je convaincs le patron que ces conditions rudimentaires ne me gênent pas du tout et je me fais accepter dans le lieu !

Je suis un peu dévisagé par tous ces porteurs qui ne sont visiblement pas habitués à voir un européen dans cette taverne. Petit à petit je me fonds dans le décor. Le gérant m’offre plusieurs tasses de thé et je vais me reposer dans le dortoir en attendant le Dal bhat. La literie est rudimentaire puisque tous les matelas sont collés les uns aux autres sur un long lit superposé à deux étages fabriqués d’un seul tenant. De grosses couvertures permettent de rester au chaud. Je discute avec quelques porteurs qui parlent anglais. Ces derniers m’avouent n’avoir jamais vu de touristes en ce lieu. Ces hommes charrient des cargaisons de nourriture jusqu’aux plus hauts refuges. Ils ne sont payés que 1 500 roupies (10,41€) par jour mais un plat leur coûte 500 roupies. Ils survivent en ne prenant que deux repas par jour et grâce aux pourboires de leurs employeurs. Je comprends que la motivation est autre que pécuniaire. Ces hommes sont amoureux de ces montagnes et prennent plaisir à les arpenter en compagnie de leurs amis. Et puis, je devine aussi dans leurs yeux qu’ils sont fiers de l’exploit physique et mental qu’ils réalisent chaque jour. 

L’heure du dîner a sonné. Je suis assis sur un banc de bois avec la vingtaine de Sherpas. Il n’y a pas de poêle dans la pièce, à cette altitude le bois est une denrée précieuse utilisée avec parcimonie. Doudounes, tours de coup et bonnets sont donc de rigueur ! Le riz, le curry et des frites sont servis dans des écuelles en acier. Un grand seau de dal est posé sur chaque table. Une fois repu, je m’aligne sur l’un des matelas. Débordant de gentillesse le patron me ramène une couverture supplémentaire. À la manière des porteurs, je dors tout habillé sous deux couettes bien lourdes pour pallier l’isolation inexistante du bâtiment et survivre au mercure qui flirte avec les -15°C.

Pour le petit déjeuner je me délecte du pain tibétain, d’un œuf et de curry. Jamais je n’avais aussi bien mangé. Le tout me revient à 800 roupies, près de deux fois moins chers comparé aux prix des établissements touristiques. Et encore dans un hôtel classique, chaque tasse de thé est facturée au minimum un euro ! 

Départ de l’auberge au petit matin

Le tourisme de masse

Sur le sentier partiellement pavé, je passe au-dessus de torrents grâce à des ponts suspendus faits de câbles et de plaques d’acier. J’ai pris l’habitude de marcher à un rythme lent, soutenu mais qui me permet de ne pas être essoufflé. Je suis doublé par de nombreux touristes marchant bien plus vite que moi mais haletant comme un marathonien en bout de course. Les écrits de La Fontaine étant toujours d’actualité, la tortue que je suis finit par rattraper les touristes qui font des pauses tous les quarts d’heure… Je suis surpris du nombre d’amateurs non préparés physiquement qui arpentent ces montagnes. La moyenne d’âge doit tourner autour de cinquante ans. Les jeunes retraités enrichis d’une période économique favorable de ces quarante dernières années sont les seuls à pouvoir dépenser les milliers d’euros que demandent les agences de voyages pour faire un trek au Népal.

Le tourisme étant la principale source de revenu du pays, tout argent est bon à prendre. Ainsi aucune sélection n’est faite sur les prospects. De l’autre côté, ces européens fortunés pensent que parce qu’ils ont acheté le voyage, ils pourront gravir les plus hautes montagnes du monde. Bref, j’observe des randonneurs marchant trop vite jusqu’à l’épuisement, d’autres trébuchant malgré les deux bâtons qui doivent leur assurer une certaine stabilité… Et puis le revers de cette industrie touristique poussée à l’extrême c’est la qualité des guides. Lorsque seul le profit importe, la qualité tend à se dégrader en faveur de la quantité. Ainsi, je suis témoin de comportements irresponsables. Certains guides lassés par la lenteur de leurs clients ouvrent la marche sans jamais se retourner. Il m’est arrivé de devoir accompagner un randonneur singapourien pendant une quinzaine de minutes jusqu’à ce que l’on retrouve son guide.

Ce qui me rend le plus fou dans cette histoire, c’est de savoir que les bénéfices engendrés par le permis demandé à l’entrée du parc servent à aménager des lieux pour que de riches obèses puissent se rendre au camp de base de l’Everest. Un paysage unique et magnifique est ainsi dénaturé pour satisfaire l’égo humain. Je ne parle même pas de l’impact écologique des explosifs utilisés pour construire la route (certes cette dernière devrait s’arrêter avant l’entrée dans le parc..)

En plus le gouvernement a décidé de se mêler de cette affaire et une loi fraîchement votée oblige tous les touristes à avoir un guide à partir du 1er avril 2023. Si c’est une blague, elle est de mauvais goût. Des locaux m’ont expliqué que cette réglementation sera difficile à appliquer car il n’existe pas assez de guides pour répondre à l’énorme masse touristique. Cela ne va pas arranger la qualité de ces derniers… Je déplore qu’une fois de plus les touristes se retrouvent infantilisés car cette solution n’est qu’un pansement de fortune sur une plaie bien plus profonde. Le vrai problème c’est le gros manque de connaissance de la part de ces vacanciers qui pensent que tout s’achète avec quelques billets. Même les principes les plus basiques ne sont parfois pas respectés. J’ai croisé lors d’une randonnée vers un lieu reculé, un touriste me demandant s’il y avait une guesthouse au sommet car il n’avait pas d’eau… Lent, sous-équipé, l’homme s’était aventuré avec son seul portefeuille dans une marche de 5h minimum… Certains semblent avoir oublié que l’argent ne se mange pas. 

En progressant doucement mais sûrement je parviens à atteindre relativement tôt le village de Dingboche.

Village de Dingboche (4 400 m)

Je ne me suis pas vraiment proprement douché depuis le début du trek et cette journée ensoleillée me donne l’envie de faire un brin de toilette. Comme les douches à l’eau chaude sont excessivement onéreuses je décide de me laver à l’eau froide. L’hôtelier me confirme que la douche à l’eau froide est gratuite. Peut-être pensait-il que je ne parviendrai pas à me laver. Après avoir dégelé les tuyaux d’arrivée d’eau, je me nettoie à vitesse éclair sous cette eau qui gèle les chairs mais qui paradoxalement me fait un bien fou. 


Deuxième journée d’acclimatation

Le lendemain, je réalise ma deuxième marche d’acclimatation jusqu’à 5 100 m. Parti tôt le matin, je suis les traces de mes prédécesseurs sur ces cinq centimètres de neige qui sont tombés la veille. Mais une heure plus tard, je rattrape le premier groupe de marcheurs. J’ouvre désormais la voie. Je fais preuve de la plus grande prudence et analyse chaque aspérité de ce manteau blanc avant de poser mon pied. À quelques mètres du sommet, je ne trouve pas le sentier alors je coupe tout droit à travers un éboulis rocheux. Ma récompense est de pouvoir admirer le paysage dans un calme parfait. Devant moi se dresse le mont Ama Dablam qui se distingue des autres montagnes par son chapeau pointu. Sur la crête adjacente la neige a été sculptée par la gravité laissant derrière elle d’étranges formes triangulaires. J’ai du mal à réaliser que ce paysage est réel tellement il est beau. À plusieurs reprises j’ôte mes lunettes de soleil pour admirer le décor tel qu’il est. Je profite de chaque seconde jusqu’à ce que la réverbération de la neige ne brûle ma rétine. Une heure plus tard j’entame la descente, rassuré de ma capacité à supporter le manque d’oxygène.

Ama Dablam (6 812m)

Ce soir, j’observe ma carte autour du poêle en attendant que le Dal bhat soit prêt. J’hésite sur le trajet du lendemain. Normalement je devrais me rendre au village de Chukung situé à trois heures de marche pour passer le col Kongma La le lendemain. Faire cette étape, me fait perdre une journée, gagner 300 m de dénivelé mais pas vraiment de distance. Je demande au guide présent dans la salle s’il est possible de passer le col directement depuis Dingboche. L’homme qui pour le coup dispose d’une vraie expertise me dit que ce n’est pas possible, l’aubergiste rajoute que personne n’a jamais pris une telle route. Je me couche avec cette hésitation dans mon esprit. 


Coup de poker

Au petit matin, les étoiles semblent s’aligner, il n’a pas neigé pendant la nuit, il fait un temps magnifique et je suis en super forme. Je m’élance dans cette longue journée de marche avec une soupe de pâtes dans le ventre. Je préfère tenter de passer le col aujourd’hui plutôt que de prendre le risque qu’il neige durant la nuit suivante. Le début de la randonnée n’est pas facile car le sentier est presque inexistant à cause de la fréquentation quasi nulle de ce dernier. Je m’élève en suivant la terre qui a dû être battue par le passage de yacks. Au bout de deux heures je rejoins enfin le chemin principal. Ce col est réputé pour être le plus difficile des trois et c’est un vrai sentier de montagne qui mène au sommet. 

Je suis parti un peu tard et je m’inquiète du mauvais temps qui arrive généralement entre midi et deux heures. Je réalise l’ampleur de l’effort physique nécessaire lorsque depuis la base du col je constate le chemin qui reste à parcourir. Depuis Dingboche le dénivelé positif est de 1 000 m. Normalement il ne faut pas dépasser 600 m – 700 m par jour au-dessus de 2 500 m pour éviter le mal des montagnes. Ma respiration et mon rythme cardiaque sont stables mais je suis d’une lenteur monumentale. Je passe un lac gelé et le terrain devient vraiment accidenté. Le sentier monte à travers un raide éboulis. Chaque pas est un calvaire. Je m’efforce de garder un rythme si lent soit-il. Je me rends vraiment compte de l’effort surhumain dont doivent faire preuve ceux qui s’aventurent à plus de 7 000 m sans oxygène. Finalement une dernière falaise me sépare du col. Vue d’en bas celle-ci semble infranchissable. C’est exactement ce que j’aime dans la montagne, petits pas après petits pas, elle me pousse à faire des choses qui semblent impossibles de prime à bord. Comme dans la vie il faut juste se mettre en route et continuer d’avancer. Enfin je parviens à bout de ces 5 400 m. Je profite quelques instants du sommet, prends quelques photos et enfile mes crampons pour descendre la pente enneigée sur l’autre versant.

Au sommet de Kongma La Pass (5 540 m)

Je suis content d’avoir échappé aux nuages mais la route jusqu’au village de Lobuche est encore longue. Le glacier qui me sépare de ma destination est un véritable calvaire. Celui-ci me semblait plat sur la carte mais c’est en réalité une infinité de petites montées et descentes sur ces gros rochers qui recouvrent complètement la glace. Heureusement le sentier est balisé par des drapeaux afin d’emprunter le chemin le plus sécurisé. Neuf heures de marche plus tard, je rejoins épuisé une guesthouse de Lobuche. 

Le groupe de népalais installé près du poêle me demande si je n’ai vu personne sur mon chemin. Je leur réponds que je n’ai croisé qu’une touriste et son guide de toute la journée. J’apprends qu’un soixantenaire coréen a disparu la veille dans ce col. Ce soir les équipes de secours partent à sa recherche. La montagne est sans pitié. Plus tard lorsque je rentrerai à Katmandou je tomberai par hasard sur deux jeunes randonneuses que j’avais croisées dans une auberge de l’Himalaya. Ces dernières m’expliqueront qu’elles ont trouvé l’homme mort, le torse nu, à moitié inséré dans son sac de couchage. Le manque d’oxygène et le froid peuvent donner lieu à des hallucinations mortelles…


Au pied du colosse

Je continue à progresser vers le plus haut sommet du monde. Je suis désormais de retour sur l’autoroute à touristes. En regardant derrière moi je constate ce cortège de marcheurs aussi nombreux qu’une petite colonie de fourmis. À l’approche du camp de base de l’Everest je dois patienter une demi-heure pour laisser passer une centaine de yacks qui redescendent du campement. Ces animaux sont utilisés en complément des porteurs pour acheminer vivres, matériel et combustibles. Le camp de base de l’Everest est installé sur un glacier. Les tentes jaunes contrastent avec la blancheur de la glace et la noirceur des rochers. Je sens qu’il se dégage en ce lieu une ambiance un peu particulière. J’ai l’impression que tout tourne autour du business. Ici, des fortunés se sont offert une nuit en ce lieu d’exception (ils repartiront certainement en hélicoptère) et d’autres plus sportifs patientent pour l’ascension. Je suis complètement ignoré lorsque je demande à plusieurs reprises où puis-je remplir ma poche à eau. Je me débrouille par moi-même et trouve un filet d’eau coulant depuis un point haut du glacier sur lequel aucune tente n’est installée. L’ascension de l’Everest coûte environ 50 000 € mais un organisateur de voyages atypique d’origine australienne m’a expliqué qu’il amène des touristes jusqu’au camp 4 à 8 000 m d’altitude pour 2 000 € tout inclus (peut-être qu’ils ne redescendent pas tous pour ce prix). En fait le gouvernement demande un permis de 20 000 € pour ceux qui veulent arriver jusqu’au sommet de la plus haute montagne du monde et les compagnies qui organisent ces expéditions ont généralement des marges généreuses !

Camp de base au pied du glacier (en bas à gauche) et l’Everest derrière la crête (en haut à droite)

De retour à Gorakshep, je passe ma plus haute nuit du trek à 5 100 m d’altitude. Je dois avouer que les nuits en altitude diffèrent de celles en plaine. Il y a ceux qui ne parviennent pas à trouver le sommeil et d’autres qui se lèvent toutes les heures pour aller aux toilettes à cause du Diamox. Moi, je tombe généralement comme une pierre et m’endors immédiatement. Par contre je suis réveillé une fois par nuit par le manque d’oxygène. Le battement cardiaque ralentissant naturellement pendant les phases du sommeil, mon corps se retrouve alors en manque d’oxygène. Je dois alors me calmer, respirer profondément et je me rendors aussitôt. À Lobuche après avoir passé le col Kongma La, j’avais mesuré le taux d’oxygène dans mon sang : 85 % à 4 900 m. Les locaux avaient le même taux et m’expliquaient qu’ils renvoyaient les touristes en basse altitude lorsque leur taux descendait sous les 60 %. On est bien loin des 97 % attendus par nos médecins lors d’une consultation !


Une vue imprenable

Nouvelle journée, nouveau sommet et cette fois je m’attaque au mont Kala Patthar. La neige de la veille m’oblige à enfiler les crampons qui me procurent une adhérence incroyable comparée à mes chaussures usées. Depuis les 5 550 m du sommet je suis en extase devant l’Everest. Je réalise la chance que j’ai de pouvoir être là. J’éprouve beaucoup de gratitude pour ma famille qui me laisse vivre ces aventures. Je remercie mon corps de m’avoir transporté jusqu’ici, la montagne de m’avoir laissé passer et la météo de m’avoir épargné. 

L’Everest avec son chapeau de nuages depuis Kala Patthar (5 550 m)

En chemin vers le deuxième col Cho La, je suis confronté à un problème de taille. Le ciel se couvre et bientôt le brouillard obscurcit complètement le paysage. Le vent me gèle les os et je ne distingue les formes qu’à vingt mètres devant moi. À peine ai-je rejoint une auberge de Dzongla que la neige commence à tomber. Le ballet vertical des gros flocons ne semble pas vouloir s’arrêter. Le sol disparaît complètement sous cette poudre blanche. Un véritable conseil de guerre se tient devant le poêle. Les touristes inquiets se demandent si le col sera praticable demain. Les guides remplis de fierté assurent que le col est praticable « tant qu’il n’y a pas de neige au-dessus des hanches » ! Les touristes indiens qui n’ont jamais vu de neige de leur vie commencent à paniquer. Je temporise en attendant le verdict des guides le lendemain. 


Décision prise

À l’aube, tous les guides décident de faire demi-tour même s’il n’y a « que » dix centimètres de neige sur le sol. La raison l’a heureusement emporté sur l’égo. Ce genre de précipitations n’est pas vraiment habituel pour la saison et le changement climatique rend la météo impossible à prévoir. Dans ces conditions je décide aussi de redescendre. Comme je le dis toujours : en montagne le véritable objectif ce n’est pas le sommet mais de redescendre vivant de ses propres pieds. Il faut savoir respecter la pudeur de la montagne.

J’aurais pu patienter un jour de plus mais la nourriture coûte une fortune (comparée au reste du pays) : 1 000 NRS (14,00 €) pour un Dal bhat alors qu’au début de la marche je le payais 400 NRS (2,78 €). Ces prix élevés sont une forme d’opportunisme de la part des aubergistes car le coût du transport de la nourriture à lui seul ne justifie pas ces tarifs. J’ai aussi remarqué que les porteurs et les guides mangent toujours après les touristes et ont droit à un Dal bhat différent puisque que le leur contient de la viande. Ce Dal baht avec des calories animales doit être financé par les plats végétariens qui sont sur-facturés aux touristes. Je trouve cette ambiance un peu malsaine. Surtout lorsque je vois que les locaux ont droit à du thé à volonté alors qu’il est facturé à prix d’or pour les étrangers…

Le jeu est désormais de savoir qui entamera le chemin du retour en premier. Les guides des différentes guesthouses se guettent par les fenêtres en espérant que le premier tassera les dix centimètres de neige. Je fais de même et entame le chemin du retour vers huit heures du matin. Je rejoins l’auberge Sherpa de Maya à Deboche dans laquelle je mange mon meilleur Dal bhat à la viande de buffle. Thé à volonté, cela fait plaisir d’être traité comme un Népalais ! 

Je fais un détour de vingt kilomètres sur le chemin du retour pour me rendre au camp de base du mont Ama Dablam. Depuis le plateau et la dizaine de tentes qui composent le camp la vue du sommet est tout simplement grandiose.

Ama Dablam – camp de base (4 600 m)

J’enchaîne par une longue marche. Bilan de la journée : 35 km, 1 500 m de dénivelé positif et 2 400 m de dénivelé négatif. Le regain d’oxygène me donne des ailes ! Le rythme intense de la descente combiné à un amorti de mes chaussures désormais inexistant ont ouvert la plante de mes pieds. Au terme de 17 jours de marche je rejoins le village de Phaplu avec des pieds en piteux état. J’ai réussi mon pari puisque le trek (tout compris) depuis Katmandou m’est revenu à moins de 200 € et que mes chaussures tiennent toujours le coup !


À chaque trajet son aventure

Le trajet retour est une véritable aventure. J’achète un billet de bus pour Katmandou. Le départ est prévu à quatre heures du matin. À huit heures du soir alors que je suis en train de m’endormir le propriétaire de la guesthouse frappe à ma porte. Le départ est retardé à six heures. Je modifie mon réveil et m’endors. À six heures, toujours pas de bus. Il est désormais sept heures et l’on m’indique le bus bleu stationné au bout de la rue. Je m’installe à l’intérieur. Dix minutes plus tard des touristes montent à leur tour et me disent qu’il s’agit d’un bus privé. Je descends pour aller voir le propriétaire de l’auberge qui m’a vendu le ticket. Il observe la scène de loin et ne répond pas à mes gestes. Je me dirige vers lui et ce dernier me confirme que c’est bien mon bus. Je retourne vers le bus où mes affaires ont été déchargées. Les touristes sont formels, je ne peux pas monter à bord. Je retourne une seconde fois vers la guesthouse avec mon paquetage. Enervé, je commence à engueuler l’homme qui a visiblement magouillé avec mon billet de bus. Au loin, j’entends le moteur du bus démarrer. Le véhicule bleu s’arrête à notre niveau. Je me retrouve au milieu d’un conflit entre les touristes et le vendeur du ticket. Finalement le compromis est trouvé que je prenne le bus jusqu’à une autre ville située à une heure de route. Là-bas je suis placé dans une jeep.

Nous attendons d’autres passagers pendant deux heures. Lassé le chauffeur décide de partir avec le 4×4 à moitié plein. Quinze minutes plus tard nous nous arrêtons au bord de la route au milieu des montagnes pour attendre une retardataire qui est déposée à moto. Alors que je pense que les péripéties sont enfin terminées, je ressens une odeur bizarre. Le conducteur roule de plus en plus lentement et semble préoccupé par ses freins. Cinq minutes plus tard, il immobilise le véhicule contre une butte de terre. Les freins surchauffent. Nous les laissons reposer quinze minutes avant de repartir. Je deviens fou intérieurement lorsque je prête attention à la conduite du chauffeur. Il garde constamment son pied sur le frein et n’utilise pas le frein moteur. Tout ce qu’il faut pour accentuer la surchauffe…

Nous arrivons vivant en bas de la montagne et le relief moins accidenté résout le problème des freins. Sur la route, nous prenons un passager supplémentaire que nous déposons une heure plus tard. Les hommes ne s’étant pas mis d’accord sur le prix en avance, une dispute éclate. Nous perdons encore vingt minutes.

Sur cette route, tous les usagers doivent passer par des postes de police où un agent vérifie le temps écoulé entre deux check-points. Des tampons sur un petit carnet permettent de mesurer la vitesse moyenne des conducteurs et lutter contre les excès de vitesse. Lors de l’un de ces contrôles, un policier décide d’inspecter les papiers du véhicule. Il y a visiblement un problème avec la carte grise car il y a trois places à l’avant contre deux déclarées. Je trouve cela un peu rigolo que les forces de l’ordre soient sévères sur ce genre de détails mais laissent passer des véhicules aux conditions mécaniques dangereuses. J’ai vu des jeeps avec des pneus de marque et d’usure différentes sur le même essieu ce qui dégrade fortement la motricité. Les pneus sont généralement usés jusqu’à la ferraille et j’ai pu observer le pneu arrière d’un minibus faire des étincelles avec la route. Mais le policier est borné sur ce bout de papier et le chauffeur paye l’amende. 

Dans la liste des péripéties il nous manquait la goudronneuse en train de réparer une portion de la route. Cette dernière nous fait perdre vingt minutes supplémentaires. Enfin la pénombre s’installe et j’observe le chauffeur essayer en vain d’allumer les phares. Visiblement les phares ne fonctionnent pas et la seule source de lumière dans cette route sinueuse est les feux arrière de la voiture qui nous précède. Je me demande comment nous allons survivre dans de telles conditions. La route est déjà assez dangereuse en elle-même, alors sans lumière… C’est comme marcher les yeux bandés au bord du précipice. À force de tripoter le commodo dans tous les sens, les phares s’allument miraculeusement. Nous sommes sauvés !

J’ai sympathisé avec un homme dans la jeep qui me propose de dormir chez lui. Vu qu’il est tard et que la jeep nous dépose dans un quartier excentré de Katmandou, j’accepte son invitation. Je découvre la vie d’une famille populaire qui vit dans un minuscule appartement de trois pièces : une cuisine, la chambre des parents qu’ils partagent avec leur fille et le salon avec les deux lits des garçons qui font office de canapé la journée. Personne ne parle bien anglais mais tous sont d’une gentillesse qui se passe des mots.

Il y a pour sûr deux Népal : un touristique où l’étranger est vu comme une source de revenus et un autre plus authentique fait d’accueil et de bienveillance.

Enfin je retrouve l’auberge de jeunesse et passe le restant des jours de mon visa à reprendre du poids et des forces. Je trouve une boulangerie qui vend un pain délicieux. Je me fais même le plaisir de le déguster avec un petit morceau de fromage de yack : un délice ! Toujours dans un but d’ingérer un maximum de calories sans casser la tirelire je trouve un restaurant authentique servant un Dal bhat végétarien pour 90 NRS. Je mange du riz, des lentilles et des légumes à volonté pour soixante-cinq centimes soit onze fois moins cher que celui dans les montages et tout aussi bon !

J’ai repris assez de force pour retourner visiter le nord et l’est de l’Inde et j’embarque pour un trajet en bus qui durera douze heures.

2 réponses sur “Le toit du monde”

  1. Tu es remarquable…. tu me fais du bien…. tu as de l’Energie et surtout de la Joie… que tu nous fais partager! Bises de Philippe MERCI…

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