Des Mercedes et encore des Mercedes

Il fait désormais nuit noire à 16h30. Je rentre en Albanie dans la pénombre accompagnée d’un voile d’eau.  La durée du jour est un gros frein à ma progression car j’essaye dans la mesure du possible de rouler uniquement de jour. Dans les huit de lumière dont je dispose, je dois arriver à caler cinq à six heures de vélo, les pauses repas, les courses, le ravitaillement en eau potable, le montage et le démontage du bivouac.

Je soupe à l’abri sous le porche d’une petite supérette en espérant que la pluie cesse. Deux messieurs discutent avec moi. Enfin, nous communiquons à l’aide de signes puisque nous ne parlons pas les mêmes langues. Je comprends qu’ils veulent s’assurer que je vais bien et que j’ai suffisamment d’argent pour manger. Je leur montre mon itinéraire et quelques photos pour expliquer ma présence dans ce petit village. Ils me quittent un peu troublés par la stupidité de mon aventure en me serrant la main et en me souhaitant bonne chance. C’est certain les Albanais sont accueillants et bienveillants.

Des litres et des litres d’eau tombent du ciel, le sol est trempé et il fait nuit noire. Je ne suis pas inquiet pour ma sécurité car les locaux sont prudents sur la route. Quand je vois des voitures rouler sans phares arrières et des gens marcher au bord des routes sans lampe, je me dis que je suis bien plus visible avec mes lumières qui clignotent comme un sapin de Noël ! Et puis les habitants ne roulent pas très vite. Eux doivent savoir que plus on va vite, plus on consomme du carburant. Cela m’a toujours amusé d’entendre les Français militer pour qu’on roule plus vite avant de se plaindre du prix de l’essence tout en se voulant écolo.

Je m’abrite dans une station-service pour essayer de réfléchir à comment je vais faire pour dormir. Je confesse que j’espère aussi attirer la pitié de quelqu’un pour passer une nuit à l’abri. Alors que je regarde la carte sur mon téléphone, le pompiste vient vers moi et me propose de poser ma tente sous un hangar pour dormir au sec. Une vraie bénédiction par ce temps.


Le paradis des autos

Enfin la pluie cesse au petit matin et les timides rayons du soleil mettent en valeur ce pays qui n’a pas vraiment bonne réputation. C’est vrai qu’il y a un nombre inimaginable de Mercedes et autres grosses berlines allemandes. Certaines sont toutes neuves d’autres ont plus de 40 ans. Mais en tout cas le parc automobile est à l’extrême opposé des résidences qui ressemblent plus à des abris de fortune qu’à des habitations.

Je constate le résultat de la météo des derniers jours. Les plaines et les champs n’en peuvent plus de toute cette eau et se sont transformés en petit lacs…

Je passe devant un grand nombre d’industries ou de bâtiments vides. Quelque chose cloche. Où sont les ouvriers ? Ou sont les fumées et le bruit des machines ? Voilà un secret que je ne réussis pas à percer. Parfois, il vaut mieux ignorer certaines choses… À l’inverse, les petits garages pullulent le long du bitume. L’activité entière du nord du pays semble être tournée autour de la maintenance automobile. 

Sur la route certaines voitures font un bruit de tacot, d’autres fument noir et expulsent dans l’air une odeur de vieux diesel. Les garagistes ont dû retirer les pots catalytiques et les filtres à particules qui étouffent les moteurs. Qu’importe tant que les pistons s’agitent, que le vilebrequin tourne et que la gomme accroche l’asphalte. Ici les moteurs respirent mieux que les humains !

Le nombre de mécaniciens est inconcevable. Ce pays doit être le garage de l’Europe et le paradis d’une Mercedes. Car si cette dernière trépasse dans les riches pays de l’Ouest dont le coup de la main-d’œuvre rend les réparations « non économiquement viables », ici les Albanais ressuscitent ces véhicules d’un tour de cliquet.

La vie tourne donc autour du véhicule à quatre roues. Il existe toutes sortes de magasins liés à l’automobile régulièrement implantés au bord de la chaussée. Les gomestri pour changer les pneus, les auto lavazh pour nettoyer et polir les carrosseries. Leur dénomination latine me rappelle que l’Italie n’est qu’à quelques heures de navigation.

Les casses sont elles aussi présentes en grand nombre. Certains se spécialisaient uniquement sur une partie de la voiture, ce qui donne vie à des entrepôts atypiques. Dans celui-ci, des milliers de phares sont suspendus sur une simple corde. Alors que dans celui-là, les pare-chocs sont collectionnés par centaines.

 Outre le marché de l’automobile, le même système de recyclage et de récupération s’applique à d’autres produits. Par exemple, je suis passé devant une casse de machines à laver où l’on désosse les tambours, les programmateurs et les carcasses de ces outils bien pratiques.

Il n’y a pas de grands magasins en Albanie mais je suis certains que l’on peut trouver tout ce que l’on veut dans ce pays.


Lâcher prise

Malgré l’odeur d’hydrocarbures mal brûlés, j’aime ce pays avec ses petits magasins, ses garages automobiles, ses  paysans qui vendent leur récolte à même la route et ses habitants qui se garent en double fille quitte à bloquer la circulation. Pour la première fois, j’ai l’impression de retrouver un peu de ce chaos organisé typique d’Asie qui vous invite à lâcher prise.

Zone industrielle désaffectée

Le début de la soirée est mouvementé puisque la pluie recommence à tomber violemment une fois la tente installée. Cinq minutes plus tard, je vois l’eau monter sous mon réchaud posé à l’entrée de la tente. Camper sous la pluie demande des nerfs d’acier et vous apprend à rester calme en toute situation. Je me dépêche de remballer mes ustensiles de cuisine car il y a déjà une flaque profonde d’une dizaine de centimètres. Je traîne comme je peux mes affaires et la tente hors du champ jusqu’au petit toit d’un bâtiment agricole qui semble non occupé. Je prie que cet endroit ne soit pas un repère de mafieux. La fatigue rattrape rapidement mon inquiétude et je m’endors en me disant que de toute façon les dés ont été jetés et qu’il ne sert à rien de se faire du souci. 


Les retrouvailles

Plier la tente mouillée à l’aube est un calvaire inévitable. Tous les matins, j’essaye tant bien que mal d’essuyer l’eau et la boue avec quelques serviettes en papier histoire d’avoir bonne conscience.

La journée commence bien puisque je me trompe de sortie dans un rond-point. Lorsque je réalise mon erreur, il est déjà trop tard. Je roule désormais sur l’autoroute. Je serre les fesses en essayant de rester au maximum sur les 50 cm du bas-côté en évitant les trous des bouches d’égout non couvertes. Dix kilomètres plus loin, je quitte la voie rapide et emprunte un second rond-point en vérifiant deux fois la carte de mon téléphone. Par le plus grand des hasards je retrouve Lara et Nicolas qui sont assez surpris de me revoir car je les ai rattrapé malgré le fait qu’ils ont pris un bus entre Kotor et Tirana.

Ils m’avouent que lors de notre première rencontre, ils se sont demandé si j’étais courageux ou simplement stupide. Je ne sais pas. Je suis juste un fervent défenseur de la citation suivante : « il ne savait pas que c’était impossible alors il l’a fait ».

Comme si le hasard se sentait redevable, aujourd’hui les deux Landais ont prévu de faire leur plus grande distance : 90 km. Du coup, je passe la journée à rouler avec eux. Les kilomètres défilent beaucoup plus vite en bonne compagnie.

Nous échangeons nos vélos avec Lara pour que je puisse ressentir ce qu’est un vrai vélo de voyage avec des vitesses qui passent parfaitement et des sacoches bien accrochées. C’est vrai que c’est agréable mais je ne suis pas aussi à l’aise que sur mon vélo. Les longues heures à pédaler m’ont appris à connaître par cœur le comportement de ma monture. Tout fonctionne bien sur le vélo de Lara et le freinage est puissant. Soudain, la route se met à descendre et un brin d’inquiétude me parvient. Je préviens immédiatement Lara derrière moi :

« Lara !!! »

« Quoi ??? » me dit-elle en hurlant

« Les freins ! Fais attention, mon vélo ne freine quasiment pas comparé au tien ! »

Elle s’empresse de les essayer et lâche un petit cri de quand elle réalise la distance nécessaire pour s’arrêter.

Hommes de la terre, mes amis s’émerveillent de cette région agricole au sud de l’Albanie. Ils voyagent avec l’œil de l’agriculteur.

« Regarde ces laitues plantées sous les oliviers » s’exclame Lara.

« Et à droite tous ces poireaux dans le champ » reprend Nicolas

Dans ce recoin de l’Albanie les paysans se déplacent sur des « voitures » tirées par un cheval, les enfants gardent des dindes, quelques bergers font paitre leurs chèvres et les pintades cacabent. Tout ce que j’aime est résumé par un seul mot : l’authenticité.

Quatre-vingt-six kilomètres plus loin nous nous séparons après un café et je poursuis seul mon objectif des 100 km journalier. Mais de violentes crampes saisissent mon estomac au moment des derniers efforts de la journée . Heureusement qu’il fait nuit, ce qui me permet d’évacuer ce qui avait besoin de sortir plusieurs fois au bord de la route. Et moi qui faisais le malin ce midi en me vantant de boire l’eau du robinet alors que Laura et Nicolas m’expliquaient qu’il fallait justement éviter ce comportement après les grosses pluies qui ont charrié tout et n’importe quoi dans station de pompage…


Les montagnes Albanaises

Je décide de quitter la côte pour aller faire une boucle dans les montagnes albanaises. Comme à l’habitude, je me perds dans des petits chemins de pierres dépourvues de bitume où je croise des paysans dirigeant leur troupeau de chèvres. Je dois éviter les nombreuses flaques d’eau qui recouvrent la route pour que cinq kilomètres plus loin je m’aperçoive que la piste ne débouche sur rien. Demi-tour. Cela m’aura permis de voir la campagne authentique, me dis-je en relativisant.

Paysage sud de l’Albanie

Dans une longue montée bien raide, je m’arrête auprès d’un vendeur qui vend quelques produits au bord de la route sur une petite table issue du « système D ». Des vendeurs comme celui-ci ponctuent le bord des routes en Albanie. Douze œufs, quelques clémentines, un kaki et des figues sèches me reviennent à 10 €. Sur le moment j’hésite à payer l’addition de ce prix « spécial touriste ». Mais la fille de l’homme qui doit avoir 14 ans me fait pitié et je cède à l’arnaque. Je m’en mordrai les doigts lorsque, plus tard, je verrais le vrai prix des clémentines : 50 centimes le kilo. Et que pour 1€80 j’achèterai une miche de pain d’un kilogramme. Par contre, il est vrai qu’en magasin la douzaine d’œuf coûte 6 € ! À ce propos, les supermarchés sont composés uniquement de nourriture d’origine Italienne. Après tout, je ne suis qu’à une centaine de kilomètres à vol d’oiseau du talon de l’Italie. Je vous avais bien dit que le pays de Dante avait une balance commerciale excédentaire.

J’entame le passage d’un col en fin de journée. Ce qui n’est pas très malin mais je fais ce que je peux ! J’ai déjà 90 km dans les jambes et la montée est difficile. Le crépuscule me rattrape à grands pas et je décide de m’arrêter camper à 750 m d’altitude. Je quitte la route et rejoins à pied un piton situé une dizaine de mètres en contrebas. Je plante la tente sous la dernière lumière du jour. À peine ai-je terminé que les étoiles scintillent. Après avoir mangé, je reste admiratif par la beauté de ce paysage nocturne, entouré de montagnes dont la crête se décroche de ce ciel surchargé d’étoiles. Mais le baiser du froid me rappelle que dans ma tente un duvet bien chaud m’attend.  

Camping 5 étoiles

Le lendemain je traverse des petits villages de montagne. Je devine sur les flancs de certaines falaises, les campements des bergers composés de branches et de simples bâches. 

Dans un village je reste ébahi devant cet homme en train de se connecter au réseau électrique. Debout sur un morceau de bois pour attendre le haut du pylône il tient d’une main un câble à l’aide d’une pince supposée l’isoler et de l’autre un gros couteau de boucher avec lequel il dénude le câble. Je me dis qu’au moins ils n’ont pas besoin d’attendre des mois après Enedis pour avoir de l’électricité. Pour l’eau c’est le même système et je découvre que depuis une cuve en béton au pied d’une source des dizaines de tuyaux PVC alimentent les habitations.

En redescendant vers Vlora, je me fais courser plusieurs fois par des chiens de berger. Heureusement pour moi, le relief est de mon côté et me permet de filer à 30 km/h. Même à cette allure les chiens me rattrapent. Aboyant à quelques centimètres de mes mollets, je me tiens prêt à lever les jambes et à mettre un bon coup de pied sur un museau s’il le faut. Aucun n’est passé à l’acte, c’était juste de l’intimidation et je suis bien content de les voir regagner leur précieux troupeau.


Une journée étonnement difficile

La ville balnéaire de Vlora est malheureusement en train de suivre le modèle de la côte Croate. Des immeubles de standing attendent l’arrivée des touristes et de nombreux bâtiments sont en construction. Ainsi je traverse des villages presque déserts. La majorité des commerces est fermée. Je rentre dans l’un de ceux qui est ouvert et je désespère en constatant que les produits sont aussi chers qu’en France. Alors qu’en Albanie le salaire minimum est de 200 €. Mais que voulez-vous, il existe des personnes qui ne vivent que pour leurs trois semaines de vacances l’été et exigent des logements luxueux. Tout cela à un prix, celui de l’authenticité. « Mais cela enrichira le pays » répondront certains. N’est-ce t’il pas bénéfique ? Je me dis que cela sera à l’image de ce vendeur qui m’a vendu à prix fort des produits achetés une misère à de pauvres paysans. Le tourisme de masse n’enrichît qu’une infime partie de la population et je ne serais pas étonné si certains de ces complexes touristiques sont portés par des investisseurs étrangers.

La route est très difficile. Il faut dire que j’entends « crunch crunch » à chaque coup de pédale. En matière d’efficacité énergétique, j’ai vu mieux. La pluie des jours précédents et les chemins de terre ont dû contribuer à envoyer de petits grains de sable dans les roulements du pédalier. Je parviens à me hisser à plus de 1000 m d’altitude, la descente promet d’être sensationnelle puisque mes freins sont déjà complètement usés. Je fais en sorte de ne pas dépasser 40 km/h et d’anticiper les obstacles car ma distance de freinage doit être similaire à celle d’un camion ayant les freins trop chaud. Je n’ai pas d’autre choix que de m’abandonner totalement aux méandres de cette route.

Une fois en bas, en un seul morceau, je réalise que ma peine est loin d’être finie puisque le relief vallonné est jonché de pentes à 10%. Je ne comprends pas puisque mon GPS indiquait 1000 m de dénivelé positif pour cette journée. Je suis parti au niveau de la mer et le col culminait à 1000 m, quelque chose est bizarre…

Côte au sud de l’Albanie

Beaucoup de chiens errants vivent en Albanie. Les plus chanceux gardent de petits troupeaux de bovidés. Ce sont eux les plus dangereux car ils sont totalement dévolus à leur mission. Je ne sais pas pourquoi ils ont une telle rage pour les vélos, ni comment ils m’entendent arriver à des kilomètres même contre le vent. En tout cas, celui qui me poursuit dans l’une de ces côtes me donne un sacré shot d’adrénaline. Je vous assure que même quand vous avez l’impression d’être au bout du rouleau, vous trouvez la force d’accélérer !

Plus loin, je fais ma pause repas au bord de la route quand une voiture passe doucement devant moi avant de s’arrêter quelques mètres plus loin. Deux minutes plus tard un jeune sort et me propose un mets local fait de pâte feuilletée et de fromage. Une fois de plus, il s’assure que je vais bien, que mon téléphone est chargé et que j’ai un lieu où dormir.  

Les derniers kilomètres sont éprouvants et je me demande pourquoi je m’inflige un tel supplice. Ce soir j’ai réservé une nuit dans une auberge et le reflet dans le miroir me fait peur. Le type mal rasé a le regard vitreux, des cernes et les traits de son visage ont été creusé par les kilomètres. Il va falloir que j’augmente mon apport en calories.


La réponse à mes questions

Sur une table à l’accueil deux hommes sont en train de manger. Ils m’invitent à boire ce liquide translucide conservé dans une bouteille de Coca-Cola. Ce rakia fait maison est un accélérateur à amitié. Très vite à l’aise en ma compagnie, l’un des deux hommes me montre discrètement le contenu de son sac qu’il conserve en bandoulière. Un pistolet y est rangé. L’autre me présente un badge de police. Ces deux Albanais petits mais bien bâtis ont un look de cowboys avec leurs vestes en cuir. Ils font partie d’une force de police spéciale qui arrête les migrants à la frontière de façon plus ou moins officielle. Apparemment le gouvernement grec aurait une politique d’immigration assez laxiste…

« Vous avez des problèmes d’immigration en Albanie ? » je leur demande surpris.

« Non, c’est vous qui avez des problèmes d’immigration ! Ils ne font que traverser l’Albanie » me répond le patron de l’auberge qui fait la traduction.

Les trois hommes rigolent à plein poumon avant de me resservir une rassade de Rakia. J’apprends qu’ils sont payé 3000 € par mois par l’union européenne pour limiter cette immigration.

Le fait de pouvoir communiquer en anglais avec un local est une bénédiction pour mes questions restées en suspens.

« Comment se fait-il que vous ayez autant de Mercedes dans ce pays ? Est-ce qu’elles coûtent moins cher qu’en Europe ? » dis-je en anglais

« Non, elles coûtent aussi cher, mais ici c’est important d’avoir une belle voiture. Certains possèdent une Mercedes mais vivent dans un taudis » me répond l’aubergiste.

« Et, est-ce que c’est vrai qu’il y a beaucoup de mafia en Albanie ? »

L’homme traduit mes questions au deux « policiers » qui éclatent de rire une seconde fois.

« He is mafia » reprennent-ils avant de s’esclaffer à nouveau.

L’aubergiste modère les propos : « Non, ils plaisantent. La mafia ici, ce sont les politiciens ».

L’alcool passe dans mon sang à un rythme effréné car je n’ai rien mangé depuis midi et cette journée a été l’une des plus dures du voyage. Je quitte poliment mes trois amis pour aller dans la chambre. Je pensais avoir réservé une nuit dans un dortoir mais les prix étaient tellement bas que j’ai pris une chambre par inadvertance. Du coup, je n’ai pas accès aux parties communes mais tout problème possède une solution. Je cuisine avec mon réchaud dans la douche et transforme la chambre en un véritable séchoir professionnel en tirant une ficelle pour suspendre mes habits lavés à la main. Je règle le chauffage sur 27°C.


Méditation

J’apprends que l’eau n’est pas potable en Albanie, voilà pourquoi j’ai été malade. Alors le lendemain je fais un détour pour remplir mes bouteilles à une source que j’avais vu la veille au bord de la route. Beaucoup d’Albanais font le plein d’eau potable dans des lieux comme celui-ci.

La route est un formidable lieu de méditation. Je repense à ce rythme effréné que je maintiens depuis presque un mois. Je ne profite pas du tout et je me demande quel est le sens de ce dernier ? Ne suis-je pas en train de devenir comme ceux à qui je ne souhaite pas ressembler ? Ces hommes et ces femmes qui sont tout le temps pressé et qui courent sans jamais savoir réellement où ils vont. Pourquoi suis-je tant obsédé par cette distance de 10 000 km et ces 100 km journaliers ? Je m’imagine à faire des tours et des demi-tours en Turquie pour atteindre la fameuse distance que je me suis imposée. Sommes-nous la condition de notre propre malheur ?

À chaque coup de pédale faire du vélo pour faire des kilomètres perdait de son sens. Je n’ai rien à prouver à personne et je sais que déjà j’ai poussé mon corps proche de la ligne rouge.

Comme souvent à l’approche des frontières, le trafic est quasiment nul ce qui m’autoriser à rester dans cet état de pensée un peu second. Alors que je m’engouffre dans une vallée bordée de collines, l’idée suivante me frappe. Et si je me blesse ? Si je suis atteint d’une tendinite ou si mon genou est victime de surmenage, alors le défi t’arrêtera par défaut. Et puis, je réalise que de toutes les façons dont j’ai pu voyager, le vélo est celle qui est la plus solitaire. J’imagine qu’à la lecture de cet article, vous pourrez penser que j’exagère compte tenu des rencontres que j’ai décrites. Mais ce sont les seules interactions humaines que j’ai eux en un mois et elle n’ont duré que quelques heures maximum. Jamais de toute ma vie, je n’avais été si loin de l’Homme et si longtemps. Je réalise que ce que j’aime dans les voyages c’est, outres les paysages, les rencontres humaines. Mais pour l’instant tout ce que je peux faire, c’est continuer de pédaler.

La frontière Albanie-Grèce m’extirpe de mes réflexions.

3 réponses sur “Des Mercedes et encore des Mercedes”

  1. Bravo Timothée ! Tu es très performant malgré le mauvais temps ! Tu vas maintenant vers les pays plus chauds, ce qui te facilitera un peu le voyage. Tu es courageux et opiniâtre. J’ai beaucoup de plaisir à te lire. Bonne route !
    Odile

  2. Merci Timothée de ton récit mélant des anecdotes et des questions plus profondes.
    C’est enthousiasmant !!

    Bon courage, persévère, nous sommes nombreux à te soutenir.

    Jean-marc

  3. Merci Timothée pour ton voyage par procuration
    Je suis en admiration par ta persévérance.
    J’adore l’écriture de tes récits. On a vraiment l’impression d’être sur le porte-bagage de ton vélo.
    Chaque détail, chaque sentiment sont décrits de façon admirable.
    Essaye de te poser un peu pour recharger ton corps en énergie. Bonne route !!!

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